Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée

et mort l’an 131} ou 748-749 de J. C.), disciple de Hasan, ayant été chassé de l’école, comme dissi­dent (motazal), au sujet de quelque dogme reli­gieux, se fit lui-même chef d’école, réduisant en système les opinions énoncées par les sectes précédentes, et notamment celle des kadrites. Les motazales se subdivisent eux-mêmes en plusieurs sectes, divisées sur des points secondai­res ; mais ils s’accordent tous à ne point reconnaî­tre en Dieu des attributs distincts de son essence, et à éviter, par là, tout ce qui semblait pouvoir nuire au dogme de l’unité de Dieu. Ils accordent à l’homme la liberté sur ses propres actions, et maintiennent la justice de Dieu, en soutenant que l’homme fait, de son propre mouvement, le bien et le mal, et a ainsi des mérites et des dé­mérites. C’est à cause de ces deux points princi­paux de leur doctrine que les motazales se dé­signent eux-mêmes par la dénomination de achâb al-adl wal-tauhîd (partisans de Injustice et de Y unité). Ils disent encore « que toutes les connaissances nécessaires au salut sont du res­sort de la raison ; qu’on peut, avant la publica­tion de la loi, et avant comme après la révéla­tion, les acquérir par les seules lumières de la raison, en sorte qu’elles sont d’une obligation nécessaire pour tous les hommes, dans tous les temps et dans tous les lieux. » (Voy. de Sacy, Ex­posé de la religion des Druzes, t. I, introd., p. xxxvij.) Les motazales durent employer les armes de la dialectique pour défendre leur sys­tème contre les orthodoxes et les hérétiques, en­tre lesquels ils tenaient le milieu ; ce furent eux qui mirent en vogue la science nommée ilm al-calâm (science de la parole), probablement parce qu’elle s’occupait de la parole divine. On peut donner à cette science le nom de dogma­tique, ou de théologie scolastique ; ceux qui la professaient sont appelés motecallemîn. Sous ce nom nous verrons fleurir plus tard une école importante, dont les motazales continuèrent à former une des principales branches.

Ce que nous avons dit suffira pour faire voir que lorsque les Abbasides montèrent sur le trône des khalifes, l’esprit des Arabes était déjà assez exercé dans les subtilités dialectiques et dans plusieurs questions métaphysiques, et pré­paré à recevoir les systèmes de philosophie qui allaient être importés de l’étranger et compli­quer encore davantage les questions subtiles qui divisaient les différentes sectes. Peut-être même le contact des Arabes avec les chrétiens de la Syrie et de la Chaldée, où la littérature grecque était cultivée, avait-il exercé une cer­taine influence sur la formation des sectes schismatiques parmi les Arabes. On sait quels furent ensuite les nobles efforts des Abbasides, et no­tamment du khalife Al-Mamoun, pour propager parmi les Arabes les sciences de la Grèce ; et quoique les besoins matériels eussent été le pre­mier mobile qui porta les Arabes à s’approprier les ouvrages scientifiques des Grecs, les differen­tes sciences qu’on étudia pour l’utilité pratique, telles que la médecine, la physique, l’astronomie, étaient si étroitement liees à la philosophie, qu’on dut bientôt éprouver le besoin de connaî­tre cette science sublime, qui, chez les anciens, embrassait, en quelque sorte, toutes les autres, et leur prêtait sa dialectique et sa sévère mé­thode. Parmi les philosophes grecs, on choisit de préférence Aristote, sans doute parce que sa méthode empirique s’accordait mieux que l’idéa­lisme de Platon avec la tendance scientifique et positive des Arabes, et que sa logique était con­sidérée comme une arme utile dans la lutte quo­tidienne des différentes écoles théologiques.

Les traductions arabes des œuvres d’Aristote,

comme de tous les ouvrages grecs en général, sont dues, pour la plupart, à des savants chré­tiens syriens ou chaldéens, notamment à des nestoriens, qui vivaient en grand nombre comme médecins à la cour des khalifes, et qui, familia­risés avec la littérature grecque, indiquaient aux Arabes les livres qui pouvaient leur offrir le plus d’intérêt. Les ouvrages d’Aristote furent traduits, en grande partie, sur des traductions syriaques ; car dès le temps de l’empereur Justinien on avait commence à traduire en syria­que des livres grecs, et à répandre ainsi dans l’Orient la littérature des Hellènes. Parmi les manuscrits syriaques de la Bibliothèque natio­nale, on trouve un volume (n° 161) qui renferme Ylsagoge de Porphyre et trois ouvrages d’Aris­tote, savoir:les Catégories, le livre de Y Inter­prétation et les Premiers Analytiques. La ‘tra­duction de Ylsagoge y est attribuée au Frère Athanase, du monastère de Beth-Malca, qui l’a­cheva en 966 (des Séleucides), ou 645 de J. C. Celle des Catégories est due au métropolitain Jacques d’Édesse (qui mourut l’an 708 de J. C.). Un manuscrit arabe (n° 882 A), qui remonte au commencement du xie siècle, renferme tout YOrganon d’Aristote, ainsi que la Rhétorique, la Poétique et Ylsagoge de Porphyre. Le travail est dû à plusieurs traducteurs ; quelques-uns des ouvrages portent en titre les mots traduit du syriaque, de sorte qu’il ne peut rester aucun doute sur l’origine de ces traductions. On voit, du reste, par les nombreuses notes interlinéai­res et marginales que porte le manuscrit, qu’il existait, dès le x® siècle, plusieurs traductions des différents ouvrages d’Aristote, et que les tra­vaux faits à la hâte sous les khalifes Al-Mamoun et Al-Motawackel furent revus plus tard, corrigés sur le texte syriaque ou grec, ou même entière­ment refaits. Les livres des Réfutations des so­phistes se présentent, dans notre manuscrit, dans quatre traductions différentes. La seule vue de l’appareil critique que présente ce précieux manuscrit peut nous convaincre que les Arabes’possédaient des traductions faites avec la plus scrupuleuse exactitude, et que les auteurs qui, sans les connaître, les ont traitées de barbares et d’absurdes (voy. Brucker, Hist. crit. phil., t. III, p. 106, 107, 149, 150) étaient dans une profonde erreur ; ces auteurs ont basé leur juge­ment sur de mauvaises versions latines dérivées, non de l’arabe, mais des versions hébraïques.

Les plus célèbres parmi les premiers traduc­teurs arabes d’Aristote furent Honaïn ben-Ishâk, médecin nestorien établi à Bagdad (mort en 873), et son fils Ishâk ; les traductions de ce dernier furent très-estimées. Au xe siècle, jYahya benAdi et Isa ben-Zaraa donnèrent de nouvelles traductions ou corrigèrent les anciennes. On traduisit aussi les principaux commentateurs d’Aristote, tels que Porphyre, Alexandre d’Aphrodisée, Themistius, Jean Philopon. Ce fut surtout par ces commentateurs que les Arabes se fami­liarisèrent aussi avec la philosophie de Platon, dont les ouvrages ne furent pas traduits en arabe, ou du moins ne furent pas très-répandus, à l’exception de la République, qui fut com­mentée plus tard par Ibn-Roscnd (Averrhoès). Peut-être ne pouvait-on pas d’abord se procurer la Politique d’Aristote, et on la remplaça par la République de Platon. Il est du moins certain que la Politique n’était pas parvenue en Espa­gne ; mais elle existait pourtant en Orient, comme on peut le voir dans le post-scriptum mis par Ibn-Roschd à la fin de son commentaire sur Y Éthique, et que Jourdain (Recherches crit., etc., in-8, nouv. édit., Paris, 1843, p. 438) a cité d’après Herrmann l’AUemand. Un au-leur