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même les fables qui le dérobent en quelque sorte aux recherches de l’histoire, nous montrent en lui un prêtre réformateur, un moraliste religieux plutôt qu’un philosophe. Ainsi, quoique disciple de Pythagore, il faisait assez peu de cas de la théorie des nombres (Philostr., liv. III, chap. xxx). Il n’accordait qu’une valeur tout à fait secondaire aux mathématiques, à l’astronomie et à la musique, qui, pour les autres philosophes de la même école, étaient des sciences du premier ordre. S’il conserve l’usage des symboles, c’est afin de donner un sens plus élevé aux cérémonies du culte et aux croyances religieuses. C’est vers ce but que tendaient principalement tous ses efforts, son séjour prolongé dans les temples, son commerce assidu avec les prêtres de tous les pays, et probablement aussi ses ouvrages, dont l’un, à ce que nous apprend Philostrate, traitait des sacrifices, et l’autre de la divination par les astres (ubi supra, lib. III, c. xix). Ainsi que Platon, il accuse les prêtres d’avoir perverti chez les hommes, par leurs fables immorales, l’amour de la vertu et l’idée de la Divinité. Pour remédier à ce mal, il voulait remonter aux traditions primitives du genre humain, et ce sont ces traditions qu’il est allé chercher parmi les plus anciens peuples de l’Orient. Cependant on serait embarrassé d’exposer avec suite et d’une manière certaine les doctrines qu’il a tenté de substituer aux opinions régnantes. Il paraît seulement, d’après quelques paroles prononcées en diverses circonstances et conservées par son disciple Damis, qu’il regardait toute la terre comme une même patrie ; et tous les hommes comme des frères qui devaient partager entre eux les biens que la nature leur offre à tous. En cela, il n’aurait fait que généraliser le principe de la vie commune, que l’école de Pythagore avait, dès l’origine, essayé de mettre en pratique. Ses vues sur le culte ne paraissent pas avoir été moins élevées que sa morale, dont il faut surtout se faire une idée par sa vie irréprochable et ses goûts cosmopolites. Il avait en horreur le sang et les sacrifices ; il regardait comme indignes du Dieu suprême, même les offrandes les plus innocentes : car Dieu, disait-il, n’a besoin de rien, et, comparé à lui, tout ce qui vient de la terre est une souillure ; des paroles entièrement dignes de lui, et qui n’ont pas même besoin de sortir de nos lèvres, voilà le seul hommage qu’il faut lui adresser (Eus., Prœp. evang., lib. IV, c. xiii. Philostr., Vit. Apoll., lib. III, c. xxxv ; lib. IV, c. xxx). Un tel homme ne peut pas avoir conservé, comme on l’assure, la divination, les pronostics, la prédiction de l’avenir par les songes, sans donner à toutes ces pratiques du paganisme une signification plus profonde, ou sans les rattacher à quelque théorie mystique sur l’intuition intérieure et la révélation individuelle. Quoi qu’il en soit, les tentatives d’Apollonius ne furent certainement pas sans résultats pour son époque. Tout en cherchant à les raviver par un esprit plus pur, il n’a pas peu contribué à faire prendre en dégoût ce vieux culte des sens, cette antique apothéose de la forme, et à préparer les voies à la religion nouvelle.

Dans le domaine de la philosophie proprement dite, son influence est moins grande, mais non moins incontestable. Ainsi que Philon, il a contribué à élargir la sphère de la spéculation en faisant passer dans son sein des éléments nouveaux. Il a rapproché deux mondes jusqu’alors trop isolés l’un de l’autre, l’Orient et la Grèce. Un des premiers, il s’est mis à la recherche de cette chaîne invisible de la tradition qui, à leur insu, ne cesse de relier entre eux les hommes et les peuples. Enfin c’est un précurseur de cette magnifique école d’Alexandrie qui, en face du christianisme naissant, semble avoir voulu résumer et formuler en système tous les efforts intellectuels de l’ancien monde. Cependant, si les lettres qui portent le nom d’Apollonius étaient authentiques, nous pourrions attribuer à ce philosophe un système métaphysique où tous les êtres et toutes les existences finies sont représentés comme des modes purement passifs d’une substance unique tenant la place de Dieu ; où la naissance et la mort ne sont que le passage d’un état plus subtil à un état plus dense de la matière et vice versa ; où la matière elle-même, se raréfiant et se condensant alternativement, est précisément cette substance unique dont nous venons de parler, cet être éternel, toujours le même en essence et en quantité, malgré la diversité de ses formes (Apoll., Epist. lviii). Mais il est facile de voir que ce système, qui se réduit simplement au matérialisme, est en contradiction flagrante avec le caractère moral et religieux d’Apollonius. On y reconnaîtrait plutôt le langage de la nouvelle école stoïcienne, et cette observation s’applique tant aux idées morales qu’aux opinions métaphysiques exprimées dans la lettre que nous venons de citer. D’ailleurs, par des raisons extérieures qui ne trouvent pas ici leur place, la critique moderne est unanime à regarder comme apocryphe le recueil entier de ces lettres. — Voy. Philostr., Vit. Apoll., lib. VIII, dont il a paru plusieurs éditions avec la traduction latine, à Venise, à Cologne et à Paris. Il existe aussi deux traductions françaises de cette biographie, dont l’une, par Blaise de Vigenère, a paru à Paris en 1611, in-4, l’autre à Berlin en 1774, 4 vol. in-12. — Consultez aussi Ritter, Hist. de la phil. anc., Paris, 1836, t. IV, p. 400 de la traduction de Tissot. — Tennemann, t. V, p. 198. — Mosheim, Comment. et orat. Varr. argum., in-8, Hamb., 1751, p. 347. — Klose, Dissert. de Apollonio Tyan. et de Philostrato. in-4, Wittemb., 1723. — Zimmermann, de Miraculis Apollonii Tyan., Edimb., 1755. — Herzog, Philosophia practica Apollonii Tyan. in sciographia, in-4, Leipzig, 1719. — Bayle, Dict. crit., art. Apollonius.Encyclopédie méthodique, art. Pythagore. — Baur, Apollonius de Tyane et le Christ ; ou Rapport du pythagorisme au christianisme, in-8, Tubing., 1832 (all.). — Chassang, Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, par Philostrate, Paris, 1862. 1 vol. in-8. — Histoire critique de l’école d’Alexandrie, par M. Vacherot, Paris, 1846, 2 vol.Histoire de l’école d’Alexandrie, par J. Simon, Paris, 1845, 2 vol. in-8. — Mervoyer, Περὶ Απολλώνιου τοῦ Τυανέος. Paris, 1864, in-8. — Legrand d’Aussy, Vie d’Apollonius de Tyane, Paris, 1807, 2 vol. in-8.


APOLLOPHANE, philosophe stoïcien, né à Antioche en Mygdonie, vécut longtemps à Alexandrie. Il était le disciple direct d’Ariston, et par conséquent devait être né comme Ératosthène, que les biographes anciens lui associent, vers le commencement du iiie siècle avant Jésus-Christ. Les témoignages qui nous ont transmis son nom ne sont par nombreux, et encore moins instructifs. On peut dire seulement qu’il avait écrit un livre intitulé : Ariston, et qu’il y reprochait à son maître de s’être écarté de l’ancienne rigueur morale des stoïciens ; qu’il ne prétendait pas non plus, comme lui, borner toute la philosophie à l’éthique, et avait composé une physique ; qu’il réduisait toutes les vertus à la seule sagesse ; et enfin qu’il divisait l’âme en neuf parties.

Voy. Diogène Laërte, VII, 92 et 140 : Athénée,