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sement ou dans le sommeil, a une certaine vertu représentative, et porte le nom de perception. L’aperception n’appartient pas à une faculté spéciale, elle n’est que la perception elle-même arrivée à son état le plus parfait, éclairant à la fois, de la même lumière, le moi et les objets extérieurs. D’après le fondateur de la philosophie critique, l’aperception, complètement distincte de la sensibilité, est l’acte fondamental de la pensée et ne représente qu’elle-même, nous laissant dans l’ignorance la plus complète sur la réalité du moi et des objets extérieurs considérés comme des substances. Cette différence n’a rien d’arbitraire ; elle vient de ce que le premier des deux philosophes dont nous parlons s’est placé au point de vue métaphysique ou de l’absolu, et l’autre au point de vue psychologique. Pour M. Cousin, qui a voulu concilier les intérêts de la métaphysique avec ceux de la psychologie, l’aperception pure est la vue spontanée des choses, et à ce titre, elle est opposée à la connaissance réfléchie ou analytique. Dans cette dernière, les principes rationnels étant considérés par rapport au moi, et séparés de leur objet, ont par là même un caractère subjectif qui a donné lieu au scepticisme de Kant. Au contraire, dans l’aperception pure, la raison et la vérité, qui en sont les deux termes, restent intimement unies et se présentent sous la forme d’une affirmation pure, spontanée, irréfléchie, où l’esprit se repose avec une sécurité absolue. De cette manière, la vérité se trouve avec la raison enveloppée dans la conscience, et un fait psychologique devient la base de la science métaphysique. Maine de Biran appelle aussi la conscience : l’apperception immédiate interne.


APODICTIQUE (ἀποδεικτικός, de ἀποδείξις, démonstration). Ce terme n’a jamais été mis en usage que par Kant, qui l’a emprunté matériellement à Aristote. Le philosophe grec (Analyt. Prior., lib. I, c. i) établit une distinction entre les propositions susceptibles d’être contredites, ou qui peuvent être le sujet d’une discussion dialectique, et celles qui sont la base ou le résultat de la démonstration. Kant, voulant introduire une distinction analogue dans nos jugements, a donné le nom d’apodictiques (apodictisch) à ceux qui sont au-dessus de toute contradiction. Voy. Kant, Critique de la raison pure, logique transcendantale, analytique des concept.


APOLLODORE est un philosophe épicurien mentionné par Diogène Laërce (liv. X, chap. xxv), mais dont la vie et les écrits nous sont également inconnus. Nous ignorons même à quelle époque il vivait. Tout ce que nous savons de lui c’est qu’il appartient à l’ancienne école épicurienne et qu’il y jouissait d’une très-grande autorité, car on lui donna le surnom de Cépotyrannus (le tyran du jardin) : c’est dans un jardin qu’Épicure enseignait ses doctrines. On lui attribue jusqu’à 400 ouvrages dont le temps n’a pas épargné le moindre lambeau. Il ne faut pas le confondre avec Apollodore le Grammairien, l’auteur de la Bibliothèque mythologique, et qui vivait à Athènes environ 140 ans avant l’ère chrétienne.


APOLLONIUS de Cyrène, surnommé Cronus, philosophe très-obscur de l’école mégarique, qui passe pour avoir été le maître de Diodore Cronus, le représentant le plus illustre et le plus habile dialecticien de la même école. Il vivait pendant le iiie siècle avant l’ère chrétienne.


APOLLONIUS de Tyane n’est pas seulement un philosophe, un disciple enthousiaste de Pythagore ; c’est le dernier prophète, ou plutôt la dernière idole du paganisme expirant, qu’il essaya vainement, par ses nobles réformes, d’arracher à une mort inévitable. Objet d’une vénération superstitieuse durant sa vie, il reçoit pendant trois ou quatre siècles après sa mort les honneurs divins. Les habitants de sa ville natale lui élèvent un temple ; ailleurs, on place son image à côté de celle des dieux ; on invoque son nom avec l’espoir de faire des prodiges ou pour implorer sa céleste protection ; des empereurs sont à la recherche de ses moindres paroles, des moindres traces de son existence ; un historien de la philosophie (Eunap., Vit. sophist.) l’appelle un dieu descendu sur la terre, et les derniers défenseurs du paganisme ne cessent de l’opposer à Jésus-Christ, dont il fut le contemporain. Mais, au milieu de ces manifestations d’enthousiasme, il est bien difficile de discerner la vérité historique, surtout si l’on songe que les ouvrages d’Apollonius ne sont pas arrivés jusqu’à nous, et que sa vie n’a été écrite que cent vingt ans environ après sa mort, par le rhéteur Philostrate, et sous l’inspiration de l’impératrice Julie, femme de Sévère, pour laquelle notre philosophe était l’objet d’un culte passionné. Veut-on savoir maintenant quelles sont les sources où Philostrate a puisé ? C’étaient, comme il nous l’apprend lui-même, les récits merveilleux des prêtres, les légendes conservées dans les temples, et avec deux autres écrits plus obscurs encore, les Mémoires, aujourd’hui perdus pour nous, de Damis, esprit crédule et borné, qui, ayant passé une grande partie de sa vie avec Apollonius, l’ayant accompagné dans la Chaldé et dans l’Inde, n’a rien trouvé de plus digne d’être transmis à la postérité, que des miracles et des prodiges. Voici cependant ce que l’on peut recueillir de plus vraisemblable sur la vie et sur les doctrines d’Apollonius.

Il naquit sous le règne d’Auguste, au commencement du ier siècle de l’ère chrétienne, d’une famille riche et considérée de Tyane, métropole de la Cappadoce. Dès l’âge de quatorze ans, il fut envoyé par son père à Tarse pour y étudier, sous le Phénicien Euthydème, la grammaire et la rhétorique. Un peu plus tard, il rencontra le philosophe Euxène, qui lui enseigna le système de Pythagore. Apollonius, ne trouvant pas la conduite de son maître d’accord avec ses leçons, ne tarda pas à le quitter, et Pythagore lui-même devint le modèle qu’il se proposa d’imiter en toutes choses. En conséquence, il se soumit dès ce moment jusqu’à sa mort à la vie la plus austère, s’abstenant rigoureusement de toute nourriture animale, s’interdisant l’usage du vin, observant la plus sévère continence, couchant sur la dure, marchant les pieds nus, laissant croître ses cheveux et ne portant jamais que des vêtements de lin. Il ne recula pas devant la rude épreuve d’un silence de cinq ans, et ce fut, dit-on, pendant ce temps-là qu’il commença ses voyages. Désirant remonter aux sources des idées pythagoriciennes, il se rend en Orient, s’arrête pendant quatre ans à Babylone à converser avec les mages, passe de là dans le Caucase, et enfin dans l’Inde, où il se met en rapport avec les gymnosophistes et les brahmanes. Il visita aussi l’Éthiopie, la haute Égypte, la Grèce et l’Italie, toujours occupé à s’instruire lui-même ou à éclairer les autres, cherchant de préférence à agir sur les prêtres, et recueillant dans tous les lieux où il passait des honneurs extraordinaires. Le mystère qui enveloppa sa mort augmenta encore la superstition dont il fut l’objet ; car, arrivé à un âge très-avancé, il sembla tout à coup disparaître de la terre, sans qu’on pût jamais découvrir ni en quel lieu ni de quelle manière il termina ses jours.

Ce que nous savons de la vie d’Apollonius, et