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APAT — 78 — APER


sont rien autre chose que de pures puissances passives. » L’autre, au contraire, est une entéléchie, c’est-à-dire une substance réelle et active ; « la résistance, dit-il encore, n’est pas une action, mais une pure passivité ; cette propriété qu’on appelle antitypie ou impénétrabilité, par laquelle la matière résiste à tout ce qui pourrait la pé­nétrer, ne comporte pas le pouvoir d’agir à son tour sur cet objet, non repercutit, si l’on n’y ajoute une force élastique. » Plusieurs critiques se sont mépris en croyant que Leibniz identifiait l’antitypie avec l’activité de la matière : l’une est pour lui l’inertie, l’autre la force ; l’une une conception abstraite, l’autre une chose réelle.

E. C.


A PARTE ANTE, A PARTE POST. Ces deux expressions, empruntées à la philosophie sco­lastique, ne peuvent être comprises l’une sans l’autre. Elles s’appliquent à l’éternité, que l’homme ne peut concevoir qu’en la divisant, pour ainsi dire, en deux parties. L’une n’a pas de bornes dans le passé : c’est l’éternité a parte ante : l’autre n’en a pas dans l’avenir : c’est l’éternité a parte post. Les philosophes du moyen âge attribuaient à Dieu ces deux sortes d’éternité ; mais l’âme, disaient-ils, ne possède que la der­nière. Voy. Éternité.


APATHIE (de privatif et de πάθος, pas­sion) signifie littéralement l’absence de toute passion. Et comme les passions sont, aux yeux du vulgaire, le principe même ou du moins le mobile le plus ordinaire de nos actions, on en­tend généralement par apathie une sorte d’inertie morale, l’absence de toute activité, de toute éner­gie, de toute vie spontanée. Dans la langue phi­losophique, l’acception de ce mot n’est pas tout à fait la même. Là il exprime seulement l’anéan­tissement des passions par la raison, une insensibilité volontaire qui, loin de nuire à l’acti­vité, en est, au contraire, le plus beau triomphe. C’est ainsi que l’entendaient les stoïciens, pour qui toute passion et toute affection, même la plus noble, était une maladie de l’âme, un obstacle au bien, une faiblesse indigne dont le sage doit être affranchi. Dans leur opinion, l’homme cessait d’être vertueux et libre aussitôt qu’à la voix de la raison venait se joindre pour lui une autre influence. Par suite du même prin­cipe, tout ce qui n’est pas le mal moral était regardé comme indifférent ; ils n’accordaient pas que les plus vives douleurs du corps ou les plus cruelles blessures de l’âme puissent nous arra­cher un soupir ou une plainte. L’apathie stoï­cienne est donc tout autre chose que la résigna­tion, c’est-à-dire la patience dans le mal, par le motif de quelque noble espérance ou d’une sainte soumission à des décrets impénétrables : c’est la négation même du mal et de notre faiblesse à le supporter. Cependant il ne faudrait pas croire que l’apathie ne fût qu’un précepte stoïcien ; elle était également recommandée par d’autres philosophes, mais dans un but différent. Pyrrhon la regardait comme le souverain bien, comme le but même de la sagesse, dont le scepticisme, à ses yeux, n’était que le moyen (Cic., Acad., lib. II, c. xxxxii ; Diogène Laërce, liv. IX, c. xxxxii). Une fois convaincus que le bien et le mal, le vrai et le faux, ne sont que des apparences, nous ar­riverons infailliblement, pensait-il, à ne plus nous émouvoir de rien et à goûter cette tran­quillité parfaite au sein de laquelle doit s’écouler la vie du sage. Stilpon, l’un des plus brillants disciples de l’école mégarique, avait la même opinion sur le souverain bien. N’admettant pas d’autre existence réelle que celle de l’Être ab­solu, un et immuable de sa nature, il voulait que l’homme s’efforçât de lui ressembler, ou


plutôt qu’il s’identifiât avec lui par l’absence de toute passion et de tout intérêt (Senec., Epist.). Enfin, si nous en croyons Cicéron (Tusc., lib. V, c. xxvii), la règle de l’apathie était non-seulement recommandée en théorie, mais rigoureusement suivie en pratique par les gymnosophistes de l’Inde. Cependant il est permis de supposer que Cicéron ne possédait sur ce point que des connaissances incomplètes ; car, dans la morale des Hindous, il s’agissait plutôt de l’extase, de l’absorption de l’âme en Dieu, dont l’apathie, ap­pliquée aux choses de la terre, n’est qu’une simple condition. Voy. Extase.

L’apathie, surtout l’apathie stoïcienne, a été traitée séparément dans les dissertations sui­vantes : Niemeieri (Joh. Barth.), Dissert. de Stoi­corum άπαθεία, exhibens corum de affeclibus doctrinam, etc., in-4, Helmst., 1679. —Beenii, Dispp., lib. III, άπαθεία sapientis stoici, in-4, Co­penhague, 1695. — Fischeri (Joh. Henr.), Dissert de stoicis άπαθεία ; falso suspectis, in-4, Leipzig, 1716. — Quadii, Disputatio tritum illud stoicorum paradoxon περί τήζ άπαθειας expendens, in-4, Sedini, 1720. — Meiners, Mélanges, t. II, p. 130 (all.).


APERCEPTION ou APPERCEPTION (de ad et de percipere, percevoir intérieurement et pour soi). Leibniz est le premier qui ait introduit ce terme dans la langue philosophique, pour désigner la perception jointe à la conscience ou à la réflexion. Voici comment il définit lui—même ce mode de notre existence : « La perception, c’est l’état intérieur de la monade représentant les choses externes, et l’aperception est la connaissance réflexive de cet état intérieur, laquelle n’est point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. » De là résulte, comme Leibniz le reconnaît formellement, que l’aperception constitue l’essence même de la pensée, qui ne peut être conçue sans la conscience, comme la conscience n’existerait pas si elle n’enveloppait dans une même unité tous nos modes de représentation. Kant, dans sa Critique de la raison pure (Analyt. transcend., §§ 16 et 17), se sert du même terme sans rien changer à sa première signification. Selon lui, nos diverses représentations, les intuitions ou impressions diverses de notre sensibilité n’existeraient pas pour nous, sans un autre élément qui leur donne l’unité et en fait un objet de l’entendement. Or, cet élément que nous exprimons par ces deux mots je pense, c’est précisément l’aperception. « Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, car autrement quelque chose serait représenté en moi sans pouvoir être pensé, c’est-à-dire que la représentation serait impossible, ou du moins elle serait pour moi comme si elle n’existait pas » (ubi supra, traduction de M. Cousin dans sa Crit. de la phil. de Kant, t. I, p. 106). Mais le fait de l’aperception peut être considéré sous deux aspects : dans le moment où il s’exerce sur les éléments très—divers que nous fournit la sensibilité et les relie, en quelque sorte, par l’unité de conscience, il prend le nom d’aperception empirique ; quand on le considère isolément, abstraction faite de toute donnée étrangère, comme l’essence pure de la pensée et le fond commun des catégories, c’est l’aperception pure, ou l’unité primitive et synthétique de l’aperception, ou bien encore l’unité transcendentale de la conscience. Il y a cependant une énorme différence entre Kant et Leibniz, lorsqu’on les interroge, non plus sur le caractère actuel de l’aperception, mais sur son origine. Selon l’auteur de la monadologie ; tout mode intérieur, par conséquent la sensation et même ce que nous éprouvons dans l’évanouis-