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THÉOPHRASTE.


sophe à Chalcis, nous trouvons Théophraste à la tête du Lycée. Son enseignement y eut un succès immense, interrompu toutefois à deux reprises par la persécution, ou du moins par de haineuses attaques. Ainsi que tant d’autres philosophes, avant lui et après, Théophraste fut un jour cité devant les tribunaux comme coupable d’impiété ; mais Agonidès, l’auteur de cette accusation, ne put la soutenir, et faillit être condamné lui-même. On doit avouer que, parmi les sentences qui nous sont parvenues sous le nom de Théophraste, il s’en trouve une ou la Fortune est proclamée la maîtresse du monde ; mais si cette sentence est authentique, il y faut voir plutôt quelque boutade passagère que l’expression d’un dogme sérieux. En effet, soit dans ses Caractères, où il se moque de la superstition, soit dans le fragment de sa Métaphysique, soit dans un fragment conservé par Stobée (sect. III, § 50), soit dans un témoignage historique cité par Simplicius (Commentaire sur Épictète), Théophraste se montre déiste au sens le plus clair et le plus raisonnable de ce mot. C’était peut-être assez pour lui valoir la haine des zélés païens, comme Agonidès et comme ceux que Platon nous représente dans l’Eutyphron ; mais ce n’est pas assez pour que la critique moderne souscrive à ces vieilles calomnies. Au reste, la tentative d’Agonidès n’est pas le plus grave indice de l’esprit d’hostilité qui régnait alors dans certaines régions d’Athènes contre les philosophes. Vers le même temps un certain Sophocle, fils d’Amphiclide, réussit à faire porter par le peuple une loi qui défendait, sous peine de mort, d’enseigner la philosophie sans ce que nous appellerions aujourd’hui l’autorisation préalable de l’État. Sa loi équivalait à un décret de bannissement contre les professeurs ; tous, en effet, s’exilèrent, et Théophraste à leur tête. Mais la liberté était trop dans les mœurs d’Athènes pour qu’une loi pareille put rester en vigueur. Attaquée, dès l’année suivante, par Philon, et vainement défendue par Démocharès, neveu de Démosthène (il reste quelques fragments de son étrange défense), elle succomba, et les philosophes rentrèrent dans leurs écoles. Celle de Théophraste était la plus nombreuse ; Diogène Laërce prétend qu’elle réunissait près de deux mille élèves, chiffre qu’il est bien difficile d’admettre, à moins qu’il n’exprime le nombre total de ceux qui, durant plusieurs années, se succédèrent dans l’école de notre philosophe. Ce qui est mieux attesté, c’est que Théophraste apportait à son enseignement, outre une érudition universelle et vraiment comparable à celle de son maître Aristote, toutes les recherches d’une exposition savante, qui ne se refusait même pas certaines séductions de mise en scène. De là, sans doute, la fable, plus gracieuse que vraisemblable, suivant laquelle Théophraste, primitivement appelé Tyrtamus, aurait dû son nouveau nom à la divinité de son langage, comme a dit Cicéron. Une partie au moins de ce charme avait passé dans ses écrits, dont les anciens ont loué à l’envi l’élégant et pur atticisme ; mais il est difficile d’en juger aujourd’hui, après les ravages que le temps a faits dans cette riche collection. Comme écrivain, Théophraste n’est guère signalé à l’estime des gens de goût que par le petit livre des Caractères ; mais, soit qu’on reconnaisse dans ce livre un recueil de portraits à l’usage des orateurs (l’auteur avait écrit d’autres ouvrages de rhétorique qui