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ABAILARD. 7

raison et de la liberté, ne peut se rendre coupable d’aucune transgression ni d’aucune négligence (Ib., p. 592). La grâce de Jésus-Christ consiste uniquement à nous instruire par ses paroles, et à nous porter vers le bien par l’exemple de son dévouement : l’homme peut s’attacher à cette grâce au moyen de la raison et sans secours étranger.

Cet exposé rapide de la doctrine d’Abailard, rapproché du récit de sa vie, peut donner une idée de la trempe de son esprit et du rôle qu’il a joué. La pénétration, l’énergie, une hardiesse toujours aventureuse, étaient chez lui les qualités dominantes : elles s’unissaient, comme il arrive ordinairement, à une confiance démesurée dans ses propres forces et au mépris de ses adversaires ; il possédait, à un moindre degré, l’élévation, la profondeur et même l’étendue, quoiqu’il ait embrassé un grand nombre de sujets. Consommé dans la dialectique, nul ne saisissait mieux les différentes faces d’une même question ; nul ne les présentait avec plus d’art et de clarté ; peut-être eût-il moins réussi à réunir plusieurs idées sous une formule systématique. Il était naturellement enclin à vouloir s’entendre avec lui-même, à chercher, à examiner, et, de bonne heure, il fortifia ce penchant par l’habitude. Il s’occupa dans sa jeunesse de la question des universaux qui partageait les esprits ; arrivé à l’âge mûr, de l’explication des mystères ; et son double rôle consista à fonder en philosophie une école nouvelle, à donner en théologie un des premiers exemples de cette application périlleuse de la dialectique au dogme chrétien, « qui est la scolastique même avec sa grandeur et ses défauts. » A quelque point de vue qu’on se place pour le juger, on ne saurait méconnaître l’impulsion qu’il a donnce à l’esprit humain, et la philosophie le comptera toujours parmi ses promoteurs les plus habiles et les plus courageux.

Une première édition des œuvres d’Abailard parut à Paris en 1614 in-4, sous le titre suivant : Petri Aboelardi et Heloissoe conjugis ejus opera, nunc primum edita ex Mss. Codd. Francisci Amboesii. Elle est précédée d’une apologie d’Abailard et comprend entre autres ouvrages, ses lettres, ses sermons, trois expositions sur l’Oraison dominicale, le Symbole des Apôtres et celui de saint Athanase, un Commentaire sur les Épîtres de saint Paul, et l’Introduction à la Théologie. André Duchesne à qui l’édition est attribuée dans quelques exemplaires, y adjoint des notes sur le récit des malheurs d’Abailard (Historia calamitatum) adressé par Abailard même à un ami, et qui est comme une confession de sa vie. L’Introduction à la Théologie a été réimprimée par Martenne, au tome III du Thesaurus anecdotorum, avec deux ouvrages inédits, savoir, un Commentaire sur la Genèse, intitulé Hexameron, et un traité de la Théologie chrétienne, où quelques-unes des opinions exposées dans l’Introduction sont adoucies. Quelques années après, Bernard Pèze inséra dans son Thesaurus anecdotorum novissimus, t. III, un nouveau traité inédit d’Abailard, qui sous le titre Scito teipsum, embrasse les principales questions de la morale. Enfin, en 1831, M. Reinwald a retrouvé à Berlin et publié un dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien, Dialogus inter judoeum, philosophum et christianum, indiqué par l’Histoire littéraire (t. XII, p. 132). Toutes ces publications contribuaient à faire connaître dans Abailard l’homme et le