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PRÉFACE. XI

maine. Or ce principe, qu’on l’accepte ou non pour son propre compte, est désormais au-dessus de la discussion. Il est sorti, voila déjà longtemps, de la pure théorie, pour entrer dans le domaine des faits. Il n’est pas seulement consacré dans les sciences, dont il est la condition suprême, il s’est aussi introduit dans nos lois et dans nos mœurs ; il a affranchi et secularisé successivement notre droit civil, notre droit politique, la société tout entière. En dehors des dogmes révérés de la religion qui s’appuient sur la révélation, rien ne se fait aujourd’hui, rien ne se démontre, ni même ne se commande, qu’au nom de la raison. Voulez-vous que nous vous prenions au mot, et que, dans toutes les questions de l’ordre moral, nous regardions l’usage de la raison comme un acte de démence et de révolte ? Soyez donc conséquents avec vous-mêmes, ou plutot soyez sincères, et commencez par nous faire prendre en haine, si vous le pouvez, tout ce qui nous entoure, tout ce que nous avons conquis avec tant de peine, et ce que notre devoir nous commande aujourd’hui d’aimer et de défendre. Dans quel temps aussi vient-on nous parler de l’impuissance de la raison ? C’est lorsqu’elle voit le succès couronner son œuvre, lorsqu’elle voit tous les changements introduits en son nom se raffermir chaque jour et recevoir la consécration du temps. La philosophie, c’est la raison dans l’usage le plus noble et le plus élevé qu’elle puisse faire de ses forces ; c’est la raison cherchant à se gouverner elle-même, imposant une règle à sa propre activité, s’élevant au-dessus de tous les intérêts du moment pour découvrir le but suprême de la vie et atteindre la vérité dans son essence. C’est d’elle que part le mouvement que nous avons signalé tout à l’heure ; elle seule peut le contenir et le discipliner. Essayer maintenant de retirer cet appui à l’homme qui en a besoin et qui le réclame ; chercher à ruiner une science dont on pourrait faire, comme au XVIIe siècle, un auxiliaire au moins utile pour le triomphe des vérités que la raison et la foi nous enseignent également, c’est une entreprise que l’on peut dire coupable autant qu’impuissante.

En nous tournant maintenant d’un autre côté, nous rencontrerons des adversaires tout aussi prévenus, mais pour une