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dans un bénitier à part, ou la recevaient au bout d’un bâton. Une fois dans le lien saint, ils avaient un coin où ils devaient se tenir séparés du reste des fidèles. On craignait même que leurs cendres ne souillassent celles des races pures : aussi leur assignait-on, dans le champ du repos, dans le lieu où tous les mortels sont égaux, une ligne de démarcation. Le peuple, en général, était tellement imbu de l’idée que les Cagots ne ressemblaient en rien au reste des hommes, qu’un père réduit à la plus extrême misère, aurait mille fois mieux aimé voir sa fille tendre la main à la charité publique que de l’unir à un Cagot. Ce préjugé passa du peuple aux plus hautes classes de la société, et l’Église et l’État furent d’accord pour repousser de tous les emplois honorables les victimes sur lesquelles il s’acharnait ; enfin, il les poursuivit avec une opiniâtreté tellement minutieuse qu’il leur désigna jusqu’aux sources où ils devaient puiser l’eau qui leur était nécessaire : aussi n’est-il presque pas de village dans les Pyrénées où il n’y ait une fontaine appelée Fontaine des Cagots.

Sous l’empire de pareilles idées, doit-on être surpris de voir planer sur eux les imputations les plus calomnieuses, les soupçons les plus flétrissants ? Ils étaient sorciers, magiciens ; ils répandaient une odeur infecte, surtout pendant les grandes chaleurs ; leurs oreilles étaient sans lobe, comme celles des lépreux ; quand le vent du midi soufflait, leurs lèvres, leurs glandes jugulaires et la patte de canard qu’ils avaient empreinte sous l’aisselle gauche, se gonflaient ; et mille autres accusations tout aussi fondées. Ainsi les vieilles légendes, auxquelles le peuple ajoute encore foi aujourd’hui, nous représentent les Cagots comme enclins à la luxure et à la colère ; comme avides, hautains, orgueilleux, susceptibles et surtout pleins de prétentions. Une ancienne tradition, dont nous ne garantissons pas l’authenticité, nous as-