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connaissez maintenant : asseyez-vous. Le repas que je vous offre est très simple, mais l’affaire que nous allons y élaborer nous permettra bientôt d’en faire d’autres plus succulents. Je vous promets, au lancement de la cent-millième bouteille, un banquet à la Maison-Dorée, où nous ferons valser la mère Clicquot comme si elle avait vingt ans. Allons, messieurs, prenez vos places au hasard. L’étiquette n’entre pas ici.

Par respect pour le capital, on laissa M. Tintouin s’asseoir le premier. Il le fit avec une gravité bienveillante. Toute sa figure aux joues rasées de près respirait la santé et la quiétude. Il était vieux, mais frais encore et ses moustaches blanches semblaient un paradoxe, un paradoxe aussi son bégaiement.

Le lecteur connaît déjà M. Paillon, le médecin élégant dont toutes les femmes raffolaient. Mais quels que fussent le chic et les manières de M. Paillon et de M. Tintouin, rien n’approchait de la suprême aisance de M. Cabillaud, que son abondante barbe d’argent faisait ressembler à un sage de la Grèce, affublé d’un complet de La Grande Maison. Ses mains soignées, ses gestes parfaits, sa diction tour à tour familière et grave attestaient une habitude de la haute vie, contre laquelle rien n’avait pu prévaloir, ni l’adversité, ni la menace d’une paralysie courageusement d’ailleurs envisagée ; tant il est vrai qu’une grande âme se rit des circonstances qui se flattent de la faire déchoir. Assis à ses côtés, l’exubérance de Renaud Jambe-d’Or, sa moustache terrible sur ses joues bleues, ses yeux de cavalier maure dans une fantasia étaient évidemment les signes d’une âme ingénue, mais manquaient de ce je ne sais quoi qu’on acquiert par un long mépris des hommes et un exclusif amour de ses aises : la distinction.

Pampelunos et Micaëlli, que l’huître fraîche étonnait,