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douce chair féminine. Bibelots, bibelots, je vous aime. Vous n’êtes pas nombreux ici et vous n’avez pas de valeur, mais si vous m’étiez enlevés, il me faudrait au moins les joies suprêmes de l’amour pour me consoler de votre perte… Encrier qui de loin parais une bonne petite grenouille de cristal gavée d’encre, chandelier couvert de taches de bougie anciennes et vénérables, porte-montre qui me viens de mon grand-père, et si intimement uni à l’existence de ta compagne que si tu disparaissais, je ne saurais où la coucher la nuit, et toi-même, tocante chérie, invraisemblablement arrachée tant de fois, — et au prix de quels sacrifices ! — à l’avidité d’une tante redoutable, tocante chérie dont les taches même et les fêlures d’émail me sont précieuses, vous avez tous un peu de ma vie… Mais, bibelots, j’ai parlé d’amour. Excusez-moi. Ma pensée encore vous quitte. Elle vous reviendra… Soyez tranquilles, hélas ! je vieillirai bientôt.

Il pensa de nouveau à la jeune femme blonde et à son rendez-vous, mais cette fois avec espoir et avec joie. Son attendrissement avait changé d’objet et il attendait, perdu dans une molle rêverie, que la minute sonnât du lever.

À onze heures, il s’agitait dans l’obscur réduit qui lui servait de cabinet de toilette, puis passait à l’élaboration d’un habillage savamment en rapport avec la gravité précoce qu’on se plaît à supposer chez un jeune homme qui va prendre part à un repas de gens sérieux. Il mit un complet sombre et une cravate sévère, aux tons amortis de minerai pas encore entièrement extrait d’une carrière nouvelle, divisa ses cheveux d’une raie correcte, mais discrète, chaussa les souliers confortables de quelqu’un qui pourrait aussi bien avec entrer dans un salon que prospecter en Californie, s’il le fallait ; enfin dans une disposition d’esprit bienveillante et souple, se disposa à plaire