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dur que celui de l’entretien de son ménage. Jacques, sur le point de lui demander des nouvelles de sa santé, l’ayant regardée, se tût :

— Où est mon père ?

— Monsieur est parti ce matin de bonne heure en disant qu’il ne rentrerait qu’à midi, avec plusieurs messieurs.

— Alors, c’est un grand déjeûner ?

— Oh ! Monsieur Jacques, ne m’en parlez pas, voyez-vous. Je ne tiens plus debout. Si cette vie devait durer plus longtemps, j’aimerais mieux donner mes huit jours à Monsieur, et le quitter… Parole d’honneur, si ce n’était pas ce pauvre Coco, que personne ne pourrait soigner comme moi, je partirais. Il y a trop de travail ici… On peut le dire, c’est bien pour lui que je reste… et pour vous aussi, Monsieur Jacques, qui avez toujours été si bon pour moi.

— Eugénie, je vous remercie. Mais ne pensez-vous pas que si vous rentriez un peu moins tard ?…

— Oh ! que Monsieur ne me parle pas de çà !… Une fois ma vaisselle finie, je redeviens une femme comme les autres, n’est-ce pas ? Eh bien ! je suis libre, je sors. Et encore on peut dire que je me tiens… Mais si vous aviez vu Ernestine, et Antoinette la Gavotte, une fille que j’ai connue cuisinière chez Madame Bombard, autrefois… En plein jour, monsieur… C’est des choses qui ne se font pas, quand on a un peu de chic…

— Bref, les messieurs que va ramener mon père dévoreront leur déception…

— Oh ! pour ça non. J’ai promis à Monsieur qu’on mangerait, et même qu’il y aurait une surprise. Il m’a donné cent sous en me disant : « Surtout, qu’il ne manque rien, nous serons six ou huit personnes. » Je vais leur faire un beefsteak de cheval au beurre d’anchois, un beefsteak monstre. Ça fait de l’effet et du profit, et ça vous a un