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cependant il faut que je sache où je puis te retrouver, et qui tu es… quand tu descends.

— Certes ! vous voulez savoir… Tenez, soyez mercredi prochain, à six heures, au thé de madame Bombard. Vous la connaissez, n’est-ce pas ?

— Oui, et je ne vous y ai jamais vue.

— Parce que j’y vais deux fois par an, j’y serai pour vous… Et ainsi, il est inutile que vous sachiez autre chose que mon prénom. Bien entendu, tout-à-l’heure, vous ne me reconnaîtrez pas… Allons, à mercredi.

— Que vais-je devenir jusque-là ?

— Vous penserez à moi. Adieu, mon fou !

Elle l’embrassa, boudant déjà et tout triste, puis, légère, s’évapora.

Seul de nouveau, plus seul encore entre les murs de porcelaine et sous le gaz brûlant, Jacques ne se sentait plus la force de descendre. L’idée de revoir les invités de madame Morille lui était insupportable, et il eût pour la première fois l’obscure intuition que l’amour, lorsqu’il n’est pas là, sous la main, fait perdre aux petites choses quotidiennes le pauvre charme qu’elles ont pour qui ne rêve pas mieux.

Cependant, il faut bien vivre, n’est-ce pas ? c’est-à-dire accepter avec un air aimable et indifférent la mauvaise plaisanterie supérieure qui nous est quotidiennement imposée de faire ce qui nous déplaît cent fois plus souvent que le contraire, en vue d’ailleurs de ne plaire à personne.

Il devait être égal à madame Morille que Jacques de Meillan vînt ou ne vînt pas faire figure à ses quadrilles, et même à M. Morille que ses parquets perdissent un frotteur, car ce qu’il en avait dit n’était qu’une manière de badinage et de métaphore, et cependant le jeune homme, en acceptant l’invitation de Madame Morille, s’était en-