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Donc, aujourd’hui, douzième de février, Jacques de Meillan, oublieux de tout, est la proie de l’idée du Bal, fantôme métaphysique, être de raison et de déraison, seigneur des cerveaux de dix-neuf ans. L’Idée du Bal, en s’effaçant, démasque l’Idée de l’Amour, qu’on a dû s’étonner de ne pas voir arriver plus tôt, dans ce récit.

Le pauvre jeune homme s’imagine que c’est dans un bal qu’on rencontre l’amour, et il veut se préparer à cette surprise. Et pour y songer à loisir, il décide de ne s’occuper des préparatifs matériels de la soirée qu’à trois heures et de rêvasser jusque-là.

Il ouvre sa bibliothèque, avise le rayon où dorment les livres de Paul Adam et cueille derrière Les Cœurs Utiles un cigare de la Havane qui sèche là depuis trois mois, cousu dans son petit sac en papier d’argent et bagué de pourpre. Un ami voyageur le lui rapporta, il doit être parfait ; et Jacques, étendu sur son divan, va le résoudre en fumées et en songes :

— La Havane ! pays délicieux !… délicieux !… Comme les femmes de la Havane doivent être jolies !… Il faudra qu’un jour j’aille à Cuba, pour voir… Mais ce soir, ce n’est point à Cuba que je vais, c’est au boulevard Notre-Dame, chez Madame Morille, la puissante bourgeoise de Marseille. C’est à Marseille que je vis, c’est là qu’il faut que je me crée une aventure. Je la veux avec une femme blonde ; je l’aurai… Étant donnée une cinquantaine de femmes, il y en aura bien vingt-cinq qui seront blondes, et sur ces vingt-cinq, la moitié qui seront mariées, c’est-à-dire douze et demi. Et sur ces douze et demi, je serai bien large en en supposant la moitié de vertueuses. Il me reste donc six femmes et quart pour mon choix… Mettons six, ou nous allons nous embrouiller. Six femmes, c’est bien peu ; et je ne puis pas décemment admettre qu’elles m’auront