Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vant nous comme un rocher où l’on va se heurter le front, mais ce soir, je sais que tout est loin, et que je tiens dans mes mains la main de ma consolatrice ! C’est trop doux, cette nuit, c’est trop follement terrestre, trop adorable… O Juliette, je ne sais plus ce qui m’a poussé à venir ici ce soir, léger de faim, vide de mes souvenirs, nouveau devant vous toute nouvelle… Je ne vous avais jamais regardée, mon amie, mais vous m’êtes toute nouvelle…

Ils étaient tombés assis sur le sable, et Jacques, presque à genoux devant elle, contemplait un visage qui, dans le clair de lune, avait la pâleur et la lumière chaude et profonde de la perle, et où deux yeux de brune veillaient, avec un incomparable mystère, au milieu d’un halo de nacre. Il n’y a rien de plus merveilleux dans le monde qu’un visage de jeune fille au bord de la mer nocturne.

Jacques oubliait Anne Mazarakis et sa trahison, comme un cauchemar incompréhensible, et Juliette ne savait plus du tout pourquoi elle avait quitté sa maison… Il ne restait plus là, en face de l’éventail de diamants ouvert sur les eaux par la lumière épanouie, qu’un couple éternel, et une tendresse qui allait naître, meilleure peut-être que l’amour.

Elle naquit.

Jacques, soutenant la taille pliante de la jeune fille, lui disait les douces paroles qui s’accumulent dans le cœur aux jours de tristesse et de solitude, et qui coulent comme un baume, plus efficace d’être plus longtemps resté dans son cristal de chair. Il aimait Juliette comme une sœur de toujours, et Juliette chérissait Jacques comme le confident d’autrefois. Maintenant abandonnés l’un envers l’autre, ils s’étonnaient qu’une harmonie préétablie, pour eux seuls réservée, eût emprunté la figure d’une banale coïncidence pour les présenter l’un à l’autre. Ils s’aimaient