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— Oh ! rien n’est moins grave. Il faudrait que ton j)ère eût l’intention de liquider toute sa maison pour ne pas envoyer cette misère… Et dans ce cas-là même, qu’importe ? Avons-nous besoin d’un buffet ? Le guéridon des échecs remplacera facilement la table. Et ces chaises-là ne sont pas les seules… Je préfère d’ailleurs le fauteuil Voltaire de ta chambre.

— Envisagées à ce point de vue…

— C’est le point de vue le plus juste, celui qui ne peut nous réserver que des surprises agréables. Quand on a prévu le pire, comme il n’est pas toujours certain, on est tout flatté par la survenue d’un petit meilleur de rien du tout. Tu es trop jeune encore pour bien me comprendre, malgré la maturité précoce de ton esprit. Mais tu n’as pas vingt ans et, à cet âge-là, on voudrait « avaler le monde ».


Le lendemain, M. Cabillaud éprouva une recrudescence de douleurs. Une nouvelle couche de teinture d’iode et la consolation du tabac ne les apaisèrent que quelques heures, après lesquelles le patient commença à trouver l’existence « un trou à rats sans issue et une lamentable plaisanterie ». Ce furent ses propres expressions.

— Ça ne peut pas durer plus longtemps ainsi, dit-il à Jacques qui assistait, impuissant, à ses tortures, il faut que quelqu’un vienne me soigner. Et le cheveu, c’est que je ne connais personne. Car il est nécessaire que le docteur qu’on ira chercher ne coûte rien… Décidément, je n’ai pas le choix : je dois me résigner à faire avertir Augustin Paillon.

— Mais vous avez dit vous-même…

— Je te répète que je n’ai pas le choix. Et puis, il faut toujours compter sur un miracle. Ma maladie n’exige peut-être pas une intuition de génie pour être comprise,