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mes perdus, nous sommes perdus… Je ne peux plus rester ici, quand on me paierait… Je m’en vais. Adieu, Coco ; adieu, Coco !

Et, tout en larmes, elle se précipita au cou de Coco, et le serra sur sa poitrine, malgré la frénésie terrifiée du noble animal, qui réussit enfin à lui échapper, et courut en clopinant se cacher dans le tiroir à charbon.

— Et vous aussi, Monsieur Jacques, adieu ! Adieu Monsieur Cabillaud ! Je m’en vais.

— Voyons, ma fille, calmez-vous… Mon père reviendra.

— Non, monsieur, il ne reviendra pas. Il est parti comme un fou, en emportant une petite valise, même que je ne comprenais pas pourquoi. Il m’a dit : « Ce sont des échantillons de marbre que j’emporte chez un ami »… Je n’ai pas fait attention, sur le moment. C’est plus tard que je me suis rendu compte… On n’emporte pas des échantillons de marbre dans une valise. Il avait les yeux ronds comme des billes. Je m’en vais, je m’en vais. Voilà ! On me doit trente-cinq francs du mois dernier, et ça me fend le cœur de quitter Coco, qui va crever de faim, maintenant ; mais ça m’est égal, je pars.

Elle prit une bouteille de pétrole et en aspira fortement l’arôme, pour se remettre.

— On aura beau dire, c’est dur, pour une fille qui a son brevet supérieur, d’en être où j’en suis… Mon Dieu ! je ne demandais pas la fortune, mais enfin je n’aurais pas cru en arriver à quitter une place à trente-cinq francs par mois… Ah ! si j’avais su, je serais restée ce que j’étais : sous-maîtresse dans un lycée de filles. Mais j’ai eu de l’ambition, et voilà où ça m’a menée !…

Elle se leva, détendue par un ressort terrible et soudain, ramassa un paquet de hardes qu’elle avait d’avance préparé, et disparut, avec des hoquets et des lamentations qu’on entendit peu à peu décroître.