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comme ils sont mal peignés et se présentent en dépit des convenances, on se hâte de les éconduire lorsqu’on a conclu l’affaire. J’estime qu’un homme qui saurait respecter en ses instincts ses éducateurs vénérables et primordiaux serait un homme vraiment noble ; mais va-t-en voir s’ils viennent, les surhommes, avec les morales, les religions ? la nuée des empêcheurs de danser en rond !… Je te prends le cavalier du roi, tu l’avais poussé trop loin.

— Vous ne voulez tout de même pas qu’on aille tout nus par les rues ? dit Jacques, qui ne s’écartela point les méninges pour trouver une objection plus neuve.

— Si les rues n’étaient pas si froides, ce serait une sérieuse économie. Mais ce n’est point la question… Nos instincts nous ont été donnés par Dieu (on ne peut pas soutenir le contraire), pêle-mêle avec nos autres facultés et toutes nos tares physiques. « Débrouille-toi avec tout çà, mon bonhomme ». Voilà ce que l’Éternel a dû dire à Adam après l’avoir mis sur pieds, en termes plus nobles, naturellement. Et on viendrait me soutenir qu’il exigerait de nous des efforts anormaux et une impossible conformité de nos actes avec une loi morale d’ailleurs inventée par Kant, très longtemps après, et sans autorisation préalable… Non, vois-tu, j’aime mieux rire. Le bon Dieu (j’y crois comme si je l’avais vu), le bon Dieu est bien au-dessus de ces petites distinctions. J’imagine qu’il doit avoir un certain sourire lorsqu’il nous contemple, superposés dans nos boîtes à cinq étages, et grouillant, mais avec prétention, comme des crabes dans une terrine, en attendant la bouillabaisse.

— Nous voilà bien loin de nos petites affaires…

— Ah ! tant mieux !… J’aime cela, j’aime nager en pleine métaphysique et oublier ainsi les misérables et mesquines négociations qui m’aident à maintenir ma mes-