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FÉDÉRATION DE 1790.

Bénédictins arrachés à leurs études, étaient traînés à l’ouvrage, obligés de prendre la pioche, de boire et de trinquer avec les soldats, de troquer leurs frocs contre les bonnets des sapeurs et les plumets des grenadiers, de crier : Vive la nation ! et de chanter le Ça ira. Ces fameux couplets, signal du tapage, chant de mort pour tant de malheureux, avaient d’abord été chantés par les filles du Palais-Royal, sur des paroles très-libres ; bientôt on y substitua le refrain : « Les aristocrates à la lanterne ! » et ils devinrent le tocsin du massacre et du pillage.

M. de La Fayette venait tous les soirs au champ de Mars entonner ce refrain[1] et semblait lui-même autoriser et exciter ce désordre. Absent de Paris depuis plusieurs semaines, je fus très-surpris, en y rentrant, de rencontrer dans toutes les rues des groupes de femmes élégantes qui portaient des pics et des pelles pour aller travailler aux préparatifs de la fête. Beaucoup s’y rendaient par esprit de parti ; d’autres y étaient poussées par la crainte.

Enfin, le fameux jour de la fédération arriva. Mais le ciel, contraire à cette cérémonie, faisait depuis trois jours tomber un véritable déluge. Dès l’aurore tout Paris se précipita au champ de Mars. Comme les femmes n’y étaient reçues qu’en blanc garni de rubans tricolores, et que les voitures ne pouvaient cir-

  1. Pour ce détail recueilli sur des ouï-dire, et en général pour tout ce qui a rapport à M. de La Fayette, le lecteur de lui-même fera bien la part des préventions du temps. (Note des éditeurs.)