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SOUVENIRS D’UN PAGE.

promenait dans le corridor, sans jamais vouloir mettre le pied dans l’assemblée. Ce ne fut qu’au départ des députés pour Paris qu’il abandonna son poste et retourna vers ses commettants leur rendre compte de son exactitude à remplir ses devoirs de gentilhomme. Cette idée, isolée, était ridicule ; mais si tous les membres de la noblesse avaient partagé les sentiments de leur collègue, les événements auraient pu prendre une autre direction.

J’allais souvent dîner dans une réunion de membres de la droite, où se trouvaient les plus fameux soutiens du parti : l’abbé Maury, Foucaut, Cazalès, Guilhermy, Montlosier et le facétieux vicomte de Mirabeau, surnommé avec raison Mirabeau-Tonneau. Jamais homme, en effet, ne fut plus remarquable par son obésité. Je l’ai revu depuis, en grand uniforme de la légion qu’il forma sur le Rhin, c’est-à-dire en habit de hussard noir avec une barbe et des moustaches épaisses. C’était bien la figure la plus grotesque que l’on pût trouver, digne du pinceau de Callot. On lui a reproché, non sans raison, de ne s’être pas toujours trouvé de sang-froid aux séances du soir. En effet, il faisait à son dîner une très-grande consommation de spiritueux, ce qui le conduisit, jeune encore, au tombeau. Sans avoir le génie ni l’éloquence de son frère, qu’il méprisait souverainement, il ne manquait pas d’instruction. Son esprit était tourné à la plaisanterie, et on ne pouvait trouver rien de plus original que sa conversation.