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LE ROI.

le prince qu’on nous a toujours représenté comme un ignorant, un brutal et un homme adonné à l’ivrognerie !

J’ai passé près de six ans à la cour ; dans aucune circonstance je n’ai vu le roi se conduire grossièrement à l’égard du plus mince de ses serviteurs. La force de sa constitution rendait, il est vrai, ses mouvements un peu brusques. Ce qui était de sa part une simple plaisanterie laissait souvent un souvenir quelque peu douloureux ; mais s’il avait cru faire le moindre mal, il se serait interdit la plus légère gaieté.

Tous les soirs, pendant six ans, moi ou mes camarades avons vu Louis XVI se coucher en public. Quelques indispositions ou des journées de troubles et de malheurs ont seules interrompu ce cérémonial ; encore ne l’ai-je pas vu suspendre dix fois. Souvent le roi sortait de souper avec des chasseurs qui n’avaient pas eu sa tempérance ; jamais je ne l’ai vu plus gai que de coutume ; toujours je l’entendis causer avec la même liberté et le même sang-froid. Il y a pourtant des hommes, même de ceux qui l’approchaient de très près, qui l’ont fait passer pour être la moitié du temps hors d’état de se tenir debout ; mais ces hommes étaient ou aveuglés ou perfides. Qu’importait la vérité ? les bruits se répandaient, l’impression restait et la conspiration allait son train.

Quand le roi revenait de chasser à Rambouillet, où il restait à souper, c’était très-avant dans la nuit. En arrivant, à moitié endormi, les jambes engourdies,