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LE DUC D’ENGHIEN.

côté, à Bingen, venait souvent, déguisé, nous voir avec son aide de camp. C’était moins pour nous que pour la petite fille d’un tailleur ; car, pendant que les aides de camp commandaient quelques vêtements au père, le duc faisait l’amour à sa fille. Du reste, brave comme le grand Condé, on pouvait appliquer à ce prince infortuné, comme au bon Henri, ce couplet de la vieille chanson :


Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et se battre,
Et d’être un vert galant.


Le duc d’Enghien a disparu par un de ces crimes sur lesquels le silence, quelque long qu’il soit, n’appelle jamais l’oubli.

Ce fut en 1804. Il habitait depuis quelque temps Etenheim, sur les bords du Rhin, vis-à-vis Strasbourg. Il serait difficile aujourd’hui de connaître le motif qui l’avait attiré si près des frontières de la France ; mais on pouvait présumer que la conspiration ourdie dans sa patrie par les généraux Pichegru et Moreau avait pu lui donner l’idée de s’en rapprocher. Quoi qu’il en soit, sa présence donnait beaucoup d’ombrage au premier consul, qui résolut de le faire arrêter.

Plusieurs espions découverts et divers bruits venus de Strasbourg avaient jeté l’alarme dans la petite cour du prince ; mais lui, intrépide et ferme, rougissant de paraître céder à la crainte, tandis qu’il n’aurait obéi qu’à la prudence, résolut d’attendre l’événement. En