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une âme avec des textes de loi, ou de celui qui emploie un reste de sentiment à torturer ces textes. Celui-ci me sacrifiera à son intérêt ou à ses passions ; l’autre m’immolera froidement à la chose écrite. Encore faut-il observer que le magistrat est défenseur, par fonction, non pas des préjugés nouveaux, auxquels nous sommes tous plus ou moins soumis, mais des préjugés anciens qui sont conservés dans les lois alors qu’ils s’effacent de nos âmes et de nos mœurs. Et il n’est pas d’esprit quelque peu méditatif et libre qui ne sente tout ce qu’il y a de gothique dans la loi, tandis que le juge n’a pas le droit de le sentir.

Mais je parle comme si les lois, encore que barbares et grossières, étaient du moins claires et précises. Et il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi. Le grimoire d’un sorcier semble facile à comprendre en comparaison de plusieurs articles de nos codes et de nos coutumiers. Ces difficultés d’interprétation ont beaucoup contribué à faire établir divers degrés de juridiction, et l’on admet que, ce que le bailli n’a pas entendu, messieurs du Parlement l’éclairciront. C’est beaucoup attendre de cinq hommes en robe rouge et en bonnet carré, qui, même après avoir récité le Veni Creator, demeurent sujets à l’erreur ; et il vaut mieux convenir que la plus haute juridiction juge sans appel pour cette seule raison qu’on avait épuisé les autres avant de recourir à celle-là. Le prince est de cet avis : car il a des lits de justice au-dessus des Parlements…