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codes, l’un militaire, l’autre civil. Ces justices soldatesques, dont on voit tous les jours les effets, sont d’une cruauté atroce, et les hommes, s’ils se policent jamais, ne voudront pas croire qu’il fut jadis, en pleine paix, des conseils de guerre vengeant par la mort d’un homme la majesté des caporaux et des sergents…

… Les juges ne sondent point les reins et ne lisent point dans les cœurs ; aussi leur plus juste justice est-elle rude et superficielle. Encore s’en faut-il de beaucoup qu’ils s’en tiennent à cette grossière écorce d’équité, sur laquelle les codes sont écrits. Ils sont hommes, c’est-à-dire faibles et corruptibles, doux aux forts et impitoyables aux petits. Ils consacrent par leurs sentences les plus cruelles iniquités sociales, et il est malaisé de distinguer dans cette partialité ce qui vient de leur bassesse personnelle, de ce qui leur est imposé par le devoir de leur profession, qui est, en réalité, de soutenir l’État dans ce qu’il a de mauvais autant que dans ce qu’il a de bon, de veiller à la conservation des mœurs publiques, ou excellentes ou détestables, et d’assurer, avec les droits des citoyens, les volontés tyranniques du prince, sans parler des préjugés ridicules et cruels qui trouvent sous les fleurs de lys un asile inviolable. Le magistrat le plus austère peut être amené, par son intégrité même, à rendre des arrêts aussi révoltants et peut-être plus inhumains encore que ceux du magistrat prévaricateur, et je ne sais, pour ma part, qui des deux je redouterais le plus, ou du juge qui s’est fait