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estimés bienveillants, équitables et doux. Aux âges gothiques de Saint Louis et même de Charlemagne, ils admiraient leur propre bénignité, qui nous semble rudesse aujourd’hui ; je devine que nos fils nous jugeront rudes à leur tour, et qu’ils trouveront encore quelque chose à retrancher sur les tortures et sur les supplices dont nous usons.

— Monsieur, vous ne parlez pas comme un magistrat. La torture est nécessaire pour tirer les aveux qu’on n’obtiendrait point par la douceur. Quant aux peines, elles sont réduites à ce qui est nécessaire pour assurer la vie et les biens des citoyens.

— Vous convenez donc, monsieur, que la justice a pour objet, non le juste, mais l’utile, et qu’elle s’inspire seulement des intérêts et des préjugés des peuples. Rien n’est plus vrai, et les fautes sont punies non point en proportion de la malignité qui y est attachée, mais en vue du dommage qu’elles causent ou qu’on croit qu’elles causent à la société. C’est ainsi que les faux monnayeurs sont mis dans une chaudière d’eau bouillante, bien qu’il y ait en réalité peu de malice à frapper des écus. Mais les financiers en particulier et le public y éprouvent un dommage sensible. C’est ce dommage dont ils se vengent avec une impitoyable cruauté ! Les voleurs sont pendus, moins pour la perversité qu’il y a à prendre un pain ou des hardes, laquelle est excessivement petite, qu’à cause de l’attachement naturel des hommes à leur bien. Il convient de ramener la justice humaine à son