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LA JUSTICE CIVILE ET MILITAIRE


I


— Notre esprit, dit mon bon maître, est ainsi fait que rien ne le trouble ni ne le blesse de ce qui est ordinaire et coutumier. Et l’usage use, si je puis dire, notre indignation, aussi bien que notre émerveillement. Je m’éveille chaque matin, sans songer, je l’avoue, aux malheureux qui seront pendus ou roués pendant le jour. Mais quand l’idée du supplice m’est rendue plus sensible, mon cœur se trouble, et pour avoir vu cette belle fille conduite à la mort, ma gorge se serre au point que ce petit poisson n’y saurait entrer.

— Qu’est-ce qu’une belle fille ? dit l’huissier. Il n’est pas de rue à Paris où, dans une nuit, on n’en fasse à la douzaine. Pourquoi celle-ci avait-elle volé sa maîtresse, madame la conseillère Josse ?

— Je n’en sais rien, monsieur, répondit gravement mon bon maître ; vous n’en savez rien, et les juges qui l’ont condamnée n’en savaient pas davantage, car les raisons de nos actions sont obscures et les ressorts qui nous font agir