Page:France - Opinions sociales, vol 2, 1902.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y jouait sa vie. Ne risquant rien, c’est un polisson. Sans compter que sa voix grêle, un procès la grossit, et que les juges, en punissant l’injure, la publient. Un des plus absurdes et des plus constants préjugés de l’animal humain est de croire à l’efficacité des châtiments, qui, la plupart du temps, ne servent à rien, puisque la société subsiste et prospère après qu’ils sont diminués ou supprimés. Pour ma part je crois fermement que le journaliste qui m’a appelé intellectuel croupi, protestant antifrançais et sale juif prussien ne mérite ni la prison ni l’amende et qu’il est un innocent.

Tirant M. Bergeret par la manche, Jumage le pressa d’entendre ces paroles émues :

— Écoute-moi, Lucien ; je n’ai aucune de tes idées sur l’Affaire. J’ai blâmé ta conduite, je la blâme encore. Mais je tiens à te déclarer que je réprouve énergiquement les procédés de polémique dont certains journaux usent à ton égard. Et, si j’ai un reproche à te faire, c’est de ne pas les blâmer toi-même avec la même vigueur. Ton indulgence est immorale. Permets-moi de te dire que je ne la conçois guère chez un membre de la ligue des Immortels Principes. La déclaration de 1791, invoquée par cette ligue, porte précisément que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, et que tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté dans les cas déterminés par la loi… Sauf à répondre de l’abus, tu entends. L’outrage est un de ces cas.