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— J’aime beaucoup M. Joseph Fabre, qui a très bien parlé de Jeanne d’Arc, dit M. Bergeret. Mais sa loi est d’une excessive imprudence. Si elle était votée, les juges l’appliqueraient d’une façon qui pourrait bien un jour surprendre et contrister M. Joseph Fabre lui-même. Il n’est pas sage de remettre à d’honnêtes magistrats, qui ne savent que leur Code, la connaissance d’une cause qui intéresse contradictoirement une personne ou un groupe de personnes et l’universalité des citoyens et des hommes, car un journaliste écrit pour tout le monde et de sa liberté dépendent toutes les libertés.

— Mais alors !… dit Jumage.

— Alors, répondit le professeur Bergeret, l’offense aux grands corps publics et la diffamation des personnes en place ne seront point punies. Et ce sera bien ainsi. La diffamation est parfois infâme, parfois généreuse. L’indignité du diffamé la rend innocente, l’indignité du diffamateur la rend méprisable. Dans l’un et l’autre cas elle relève de l’opinion et non des lois. Il est vrai que c’est beaucoup l’usage, en ce temps-ci, de diffamer les honnêtes gens. Mais dans l’état de banalité et d’avilissement où cette espèce de diffamation est tombée, si elle gardait encore quelque force, ce serait parce qu’elle est suivie de sanctions pénales. Sans cette suite et ce cortège, elle tombe misérablement. C’est la peine dont vous la frappez qui la relève. Car enfin si mon diffamateur brave la prison, c’est un gaillard. Ce serait un héros s’il