Page:France - Opinions sociales, vol 2, 1902.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blessures trop subtiles faites par les pierres de la parole et les flèches de la pensée. Je ne connais pas précisément leurs raisons, mais je leur en prêterai d’abondantes et d’excellentes.

» Peut-être estiment-ils qu’un délit si fréquent et mille fois répété chaque jour, du matin au soir, est non plus un délit, mais un usage. Peut-être pensent-ils que c’est de la politique et l’effet nécessaire de nos institutions ; qu’il est dangereux de limiter en faveur d’un seul intéressé les droits de la pensée humaine ; qu’il y a de bonnes diffamations comme il y en a de médiocres et de mauvaises, et qu’il est difficile de les distinguer ; qu’on peut porter de justes et généreuses accusations contre un homme puissant ou contre une grande institution sans être en état d’en fournir les preuves formelles, ainsi que cela s’est vu, et qu’il est enfin de ces accusations condamnées par les lois qui concourent au bien public et importent au salut de la patrie. Enfin, il est possible que les jurés acquittent les journalistes par excès de respect. Et il est possible qu’ils les acquittent par excès de mépris. En tout cas ils ont supprimé le délit de diffamation.

— Il est probable en effet, dit Jumage, que le jury ne t’accorderait aucune satisfaction. Mais si la proposition Joseph Fabre était votée, tu amènerais ton diffamateur en police correctionnelle où il serait admis à faire la preuve. Et comme il ne pourrait prouver que tu es à la fois un protestant antifrançais et un sale juif allemand, il serait condamné.