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replia le bras, et Jumage posa, d’une main un peu tremblante, le papier sur la table :

— Encore une fois, c’est sans importance. Mais j’ai pensé qu’il valait mieux… Peut-être est-il bon que tu saches… Comme tu as des ennemis…

— Flatteur ! dit M. Bergeret.

Et prenant le journal, il lut ces lignes, marquées au crayon bleu :

« Un vulgaire pion dreyfusard, l’intellectuel Bergeret, qui croupissait en province, vient d’être chargé de cours à la Sorbonne. Les étudiants de la Faculté des lettres protestent énergiquement contre la nomination scandaleuse de ce protestant antifrançais. Et nous ne sommes pas surpris d’apprendre que bon nombre d’entre eux ont décidé d’accueillir comme il le mérite, par des huées, ce sale juif allemand, que le ministre de la trahison publique a l’outrecuidance de leur imposer comme professeur. »

Et quand M. Bergeret eut achevé sa lecture :

— Ne lis donc pas cela, dit vivement Jumage. Cela n’en vaut pas la peine. C’est si peu de chose.

— C’est peu, j’en conviens, répondit M. Bergeret. Encore faut-il me laisser ce peu comme un témoignage obscur et faible, mais honorable et véritable, de ce que j’ai fait dans des temps difficiles. Je n’ai pas beaucoup fait. Mais enfin j’ai couru quelques risques. Le doyen Stapfer fut suspendu pour avoir parlé de la justice sur une tombe. M. Bourgeois était alors