Page:France - Opinions sociales, vol 2, 1902.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LA PRESSE[1]


Ce soir-là, M. Bergeret reçut, dans son cabinet, la visite de son collègue Jumage.

Alphonse Jumage et Lucien Bergeret étaient nés le même jour, à la même heure, de deux mères amies, pour qui ce fut, par la suite, un inépuisable sujet de conversations. Ils avaient grandi ensemble. Lucien ne s’inquiétait en aucune manière d’être entré dans la vie au même moment que son camarade. Alphonse, plus attentif, y songeait avec contention. Il accoutuma son esprit à comparer, dans leur cours, ces deux existences simultanément commencées, et il se persuada peu à peu qu’il était juste, équitable et salutaire que les progrès de l’une et de l’autre fussent égaux…

… Un effet assez étrange de cette étude comparée de deux existences fut que Jumage s’habitua à penser et à agir en toute occasion au rebours de Bergeret ; non qu’il n’eût point l’esprit sincère et probe, mais parce qu’il ne pouvait se défendre de soupçonner quelque malignité dans des succès de carrière plus grands et meilleurs que les siens, par conséquent iniques. C’est ainsi que, pour toutes sortes de raisons honorables qu’il s’était données et pour celle qu’il avait d’être le contra-

  1. Extrait de Monsieur Bergeret à Paris, chap. XIV. (Note Wikisource).