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le quitte pas. Il en est consumé. Cette déplorable affaire n’a fait que trop de victimes. Heureusement qu’elle est terminée.

— Elle n’est pas terminée, répondit M. Bergeret. Les conséquences de toute action sont infinies. Celle-là aura des suites qu’il n’est possible à personne d’arrêter. Il en est des forces morales comme des forces physiques : elles se transforment et ne se perdent pas. On n’arrête pas un mouvement d’idées sans échauffer les esprits, et la chaleur, à son tour, produit du mouvement. On n’anéantit point une force.

— Il faut pourtant que l’apaisement se fasse. Le pays tout entier le veut. Il veut oublier.

— On ne s’endort pas sur un oreiller de fraudes et de violences. Il n’est point d’amnistie qui puisse réconcilier l’erreur et la vérité, le crime et l’innocence. Ne voyez-vous pas qu’il y a des justes qui ne veulent point être pardonnés ? Aujourd’hui même, Picquart et Zola refusent une injurieuse clémence et demandent justice.

— Il faut être raisonnable. Vous n’espérez pas ramener l’opinion égarée. Et il n’y a point de pouvoir en France que l’opinion n’entraîne pas. Pourquoi s’obstiner inutilement ?

— Il est vrai que si je m’arrêtais aux apparences, je pourrais désespérer de la justice. Il y a des criminels impunis ; la forfaiture et le faux témoignage sont publiquement approuvés comme des actes louables. Les esprits chérissent leur vieille erreur comme un bien pré-