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des sauvages nus et sans armes. Croyais-tu, docteur, que la folie pût aller jusque-là ?

Voilà ce que j’aurais peut-être osé dire respectueusement à Érasme de Rotterdam, quand les onze heures sonnèrent au cadran de Groote Kerk. Alors le professeur Caspar Esselens me dit avec un rire candide :

— Onze heures ! Il n’a pas tourné le feuillet. C’est qu’il n’a pas entendu. Il est sourd.

Et je songeai :

« Tant mieux pour lui ! Heureux les sourds ! Ils n’entendent pas ces militaires mentir sous serment, pour l’honneur de l’armée. Ils n’entendent pas l’apologie forcenée des imposteurs et des faussaires. Ils n’entendent pas ces cris de mort aux juifs et de haine aux étrangers poussés dans les rues d’une ville qui convie les peuples aux fêtes d’une Exposition universelle. »

Le professeur Caspar Esselens me prit par le bras et me dit doucement :

— Croyez-moi, cher ami, les Français ont tort d’accueillir avec défiance et mépris toute pensée et toute opinion venue du dehors. Ils méconnaissent les conditions nécessaires de l’existence sur la planète. L’échange des idées est aussi indispensable aux peuples que l’échange des substances. Autrefois, la France comprenait cette vérité ; d’où vient qu’elle ne la comprend plus ?

Il tira de sa poche un cigare enveloppé d’or comme une momie royale de Thèbes et qu’il n’avait pas payé plus de dix cents ; il l’alluma et reprit du ton le plus cordial :