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Belgique, le Danemark, la Suisse, races sensées, d’esprit libéral ; l’Italie, la Russie, l’Amérique : tous les habitants du monde enfin, malgré la diversité de leurs génies et de leurs mœurs, de leurs croyances et de leurs habitudes, jugent cette affaire de la même manière et proclament l’innocence du condamné de 1894. Et l’on veut que le sentiment unanime du monde entier dépende d’un syndicat juif qu’on n’a jamais pu découvrir, et que tous les peuples de la terre conspirent pour sauver un petit capitaine israélite français ! Qui sont donc ces juifs qui achètent l’univers, quand leurs plus riches coreligionnaires de France gardent leur or, ou bien le mettent dans les journaux des jésuites et de l’état-major ? Une si niaise imagination a dû naître dans la loge où le Uhlan dînait avec la fille Pays, et c’est là, sans doute, dans les balayures de la concierge, qu’un général l’a ramassée pour la porter à la barre d’un Conseil de guerre.

Puisqu’il y a une conjuration des peuples, comment ne pas voir que c’est la conjuration de la conscience humaine ? Comment ne pas voir que, si tout ce qui est doué d’intelligence et de sentiment sur la planète se tourne vers le capitaine Dreyfus, c’est que cet être imperceptible, ce rien humain, est devenu le symbole de l’humanité souffrante et que l’humanité entière se sent offensée en lui ? Et comment ne pas voir que cette unanimité résulte des conditions mêmes dans lesquelles s’exercent l’intelligence et la raison, qui en définitive gouvernent les