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Là aussi, parmi les ferrailles, brillent ces grands pots de cuivre étincelants que Karel Dujardin met sur la tête de ses laitières, qui troussent leur jupe pour passer le gué. On trouve même sur ce marché des bouquins dont l’aspect vous eût réjoui, mon cher Bergeret. Et j’ai acquis pour vous, au prix de deux florins, un Grotius in-folio, recouvert d’une vénérable peau de truie. Tandis que, songeant à ces grands humanistes de la Renaissance, qui se rendaient, chaque année, à la foire aux livres, dans ces villes de Hollande et d’Allemagne, je faisais affaire avec le libraire ambulant, un colporteur, près de moi, offrait des chemises de toile, en chantant, sur un air de complainte, des vers hollandais à lourdes rimes. Tout à coup, il interrompit son chant mercantile pour interpeller vivement le professeur Caspar Esselens, mon hôte et mon ami, qui, de sa maisonnette entourée de fleurs, m’avait accompagné jusqu’au Grand-Marché. Je vis qu’il me montrait du doigt et j’entendis qu’il prononçait le nom de Dreyfus.

— Reconnaissant à votre parler que vous êtes Français, me dit le professeur Caspar Esselens, il voudrait savoir de vous si la grande iniquité ne sera point réparée. Mais je ne vous cache pas qu’il craint que vous ne soyez un ennemi de Dreyfus et un de ces Français qui ne veulent point être justes, et à qui il ne saurait donner la bienvenue.

J’examinai le colporteur. C’était un très vieux Hollandais, hâlé comme un matelot.