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venablement ménagée à l’énergie des jeunes héros qui, libres, eussent fait des barricades pour se dégourdir les bras. En blouse, ces héros aspireraient à la liberté. Portant l’uniforme, ils aspirent à la tyrannie et font régner l’ordre. La paix intérieure est facile à maintenir dans les nations armées, et vous remarquerez que si, dans le cours de ces vingt-cinq dernières années, Paris, une fois, s’est quelque peu agité, c’est que le mouvement avait été communiqué par un ministre de la guerre. Un général avait pu faire ce qu’un tribun n’aurait pas fait. Et quand ce général fut détaché de l’armée, il le fut en même temps de la nation et perdit sa force. Que l’État soit monarchie, empire ou république, ses chefs ont donc intérêt à maintenir le service obligatoire pour tous, afin de conduire une armée au lieu de gouverner une nation.

Le désarmement, qu’ils ne souhaitent pas, n’est pas désiré non plus par les peuples. Les peuples supportent très volontiers le service militaire qui, sans être délicieux, correspond à l’instinct violent et ingénu de la plupart des hommes, s’impose à eux comme l’expression la plus simple, la plus rude et la plus forte du devoir, les domine par la grandeur et l’éclat de l’appareil, par l’abondance du métal qui y est employé, les exalte enfin par les seules images de puissance, de grandeur et de gloire qu’ils soient capables de se représenter. Ils s’y ruent en chantant ; sinon, ils y sont mis de force. Aussi ne vois-je pas la fin de cet état honorable qui appauvrit et abêtit l’Europe.