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… — C’est bien possible, dit M. Roux. Mais il y a autre chose. C’est la joie innée de tirer des coups de fusil. Vous savez, mon cher maître, que je ne suis pas un animal destructeur. Je n’ai pas de goût pour le militarisme. J’ai même des idées humanitaires très avancées, et je crois que la fraternité des peuples sera l’œuvre du socialisme triomphant. Enfin, j’ai l’amour de l’humanité. Mais dès qu’on me fiche un fusil dans la main, j’ai envie de tirer sur tout le monde. C’est dans le sang.

M. Roux était un beau garçon robuste qui s’était vite débrouillé au régiment. Les exercices violents convenaient à son tempérament sanguin. Et comme il était, de plus, excessivement rusé, il avait non pas pris le métier en goût, mais rendu supportable la vie de caserne et conservé sa santé et sa belle humeur.

— Vous n’ignorez pas, cher maître, ajouta-t-il, la force de la suggestion. Il suffit de donner à un homme une baïonnette au bout d’un fusil, pour qu’il l’enfonce dans le ventre du premier venu et devienne, comme vous dites, un héros…

… — Vous êtes un peu bruni, monsieur Roux, dit Mme Bergeret, et, il me semble, un peu maigri. Mais cela ne vous va pas mal.

— Les premiers mois sont fatigants, répondit M. Roux. Évidemment, l’exercice à six heures du matin, dans la cour du quartier, par huit degrés de froid, est pénible, et l’on ne surmonte pas tout de suite les dégoûts de la chambrée. Mais la fatigue est un grand remède et l’abêtissement une précieuse ressource. On vit