Page:France - Opinions sociales, vol 2, 1902.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’homme est naturellement voleur, libidineux, destructeur et sensible à la gloire. C’est l’amour de la gloire qui décide surtout nos Français à prendre les armes. Et il est certain que, dans l’opinion, la gloire militaire est la seule éclatante. Il suffit, pour s’en assurer, de lui lire les histoires. La Tulipe semblera excusable de n’être pas plus philosophe que Tite-Live.

Mon bon maître poursuivit en ces termes :

— Il faut considérer, mon fils, que les hommes, liés les uns aux autres, dans la suite des temps, par une chaîne dont ils ne voient que peu d’anneaux, attachent l’idée de noblesse à des coutumes dont l’origine fut humble et barbare. Leur ignorance sert leur vanité. Ils fondent leur gloire sur des misères antiques, et la noblesse des armes sort tout entière de cette sauvagerie des premiers âges dont la Bible et les poètes ont conservé le souvenir. Et qu’est-ce en réalité que cette gentilhommerie militaire, roidie avec tant d’orgueil au-dessus de nous, sinon les restes dégénérés de ces malheureux chasseurs des bois que le poète Lucrèce a peints de telle manière qu’on doute si ce sont des hommes ou des bêtes ? Il est admirable, Tournebroche, mon fils, que la guerre et la chasse, dont la seule pensée nous devrait accabler de honte et de remords en nous rappelant les misérables nécessités de notre nature et notre méchanceté invétérée, puissent au contraire servir de matière à la superbe des hommes, que les peuples chrétiens continuent d’honorer le métier de boucher et de bourreau quand