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L’ARMÉE ET L’AFFAIRE


I


Donc, étant sur le Pont-Neuf, nous entendîmes un roulement de tambour. C’était le ban d’un sergent recruteur, qui, le poing à la hanche, se carrait sur le terre-plein, en avant d’une douzaine de soldats portant des pains et des saucisses enfilés à la baïonnette de leurs fusils. Un cercle de gueux et de marmots le regardaient bouche bée.

— Ce sergent recruteur, me dit mon bon maître, que vous entendez d’ici promettre à ces gueux un sou par jour avec le pain et la viande, m’inspire, mon fils, de profondes réflexions sur la guerre et l’armée. J’ai fait tous les métiers, hors celui de soldat qui m’a toujours inspiré du dégoût et de l’effroi, par les caractères de servitude, de fausse gloire et de cruauté qui y sont attachés, et qui se trouvent les plus contraires à mon naturel pacifique, à mon amour sauvage de la liberté et à mon esprit qui, jugeant sainement de la gloire, estime au juste prix celle de la mousqueterie. Je ne parle point de mon penchant invincible à la méditation qui eût été trop