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parce qu’elle est antérieure à toute idée de bonté. Les changements qu’on y a apportés dans la suite des âges n’ont pas altéré son caractère original. Les juristes l’ont rendue subtile et l’ont laissée barbare. C’est à sa férocité même qu’elle doit d’être respectée et de paraître auguste. Les hommes sont enclins à adorer les dieux méchants, et ce qui n’est point cruel ne leur semble point vénérable. Les justiciables croient à la justice des lois. Ils n’ont point une autre morale que les juges, et ils pensent comme eux qu’une action punie est une action punissable. J’ai été souvent touché de voir, en police correctionnelle ou en cour d’assises, que le coupable et le juge s’accordent parfaitement sur les idées de bien et de mal. Ils ont les mêmes préjugés et une morale commune.

— Il n’en saurait être autrement, dit Jean Marteau. Un malheureux qui a volé à un étalage une saucisse ou une paire de souliers n’a pas pour cela pénétré d’un regard profond et d’un esprit intrépide les origines du droit et les fondements de la justice. Et ceux qui, comme nous, n’ont pas craint de voir la consécration de la violence et de l’iniquité à l’origine des codes, ceux-là sont incapables de voler un centime.

— Mais enfin, dit M. Goubin, il y a des lois justes !

— Croyez-vous ? demanda Jean Marteau.

M. Goubin a raison, dit M. Bergeret. Il y a des lois justes. Mais la loi, étant instituée pour la défense de la société, ne saurait être, dans son esprit, plus équitable que cette société.