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trois cents pensionnaires, mais il n’estimait pas qu’elle fût bien au-dessous de la moralité de trois cents femmes prises au hasard dans une ville.

— Il y a de tout ici comme ailleurs, semblait-il me dire de son regard doux et las.

Quand nous traversâmes la cour, une longue file de détenues achevait la promenade silencieuse et regagnait les ateliers. Il y avait beaucoup de vieilles, l’air brut et sournois. Mon ami, le docteur Cabane, qui nous accompagnait, me fit remarquer que presque toutes ces femmes avaient des tares caractéristiques, que le strabisme était fréquent parmi elles, que c’était des dégénérées, et qu’il s’en trouvait bien peu qui ne fussent marquées des stigmates du crime, ou tout au moins du délit.

Le directeur secoua lentement la tête. Je vis bien qu’il n’était guère accessible aux théories des médecins criminalistes et qu’il demeurait persuadé que dans notre société les coupables ne sont pas toujours très différents des innocents.

Il nous mena dans les ateliers. Nous vîmes les boulangères, les blanchisseuses, les lingères à l’ouvrage. Le travail et la propreté mettaient là presque un peu de joie. Le directeur traitait toutes ces femmes avec bonté. Les plus stupides et les plus méchantes ne lui faisaient pas perdre sa patience ni sa bienveillance. Il estimait qu’on doit passer bien des choses aux personnes avec lesquelles on vit, qu’il ne faut pas trop demander même à des délinquantes et à des criminelles ; et, contrairement à l’usage, il n’exigeait pas des