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III

— J’ai appris ce matin à la préfecture, dit M. Frémont, qu’on coupait une tête dans notre ville. Tout le monde en parle.

— On a si peu de distractions en province ! dit M. de Terremondre.

— Mais celle-là, dit M. Bergeret, est dégoûtante. On tue légalement dans l’ombre. Pourquoi le faire encore, puisqu’on en a honte ? Le président Grévy, qui était fort intelligent, avait aboli virtuellement la peine de mort, en ne l’appliquant jamais. Que ses successeurs n’ont-ils imité son exemple ! La sécurité des individus dans les sociétés modernes ne repose pas sur la terreur des supplices. La peine de mort est abolie dans plusieurs nations de l’Europe, sans qu’il s’y commette plus de crimes que dans les pays où subsiste cette ignoble pratique. Là même où cette coutume dure encore, elle languit et s’affaiblit. Elle n’a plus ni force ni vertu. C’est une laideur inutile. Elle survit à son principe. Les idées de justice et de droit, qui jadis faisaient tomber les têtes avec majesté, sont bien ébranlées maintenant par la morale issue des sciences naturelles. Et puisque visiblement la peine de mort se meurt, la sagesse est de la laisser mourir.

— Vous avez raison, dit M. Frémont. La peine de mort est devenue une pratique intolérable,