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qui, à coups de bâton, fit rentrer dans le mur les paniers avec les mains suppliantes. Mais bientôt d’autres mains reparurent, brunes et tatouées de bleu comme les premières. J’eus la curiosité de regarder par les fentes d’une vieille porte de bois l’intérieur de la prison. Je vis dans l’ombre une foule déguenillée, éparse sur la terre humide, des corps de bronze couchés parmi des loques rouges, des faces graves portant sous le turban des barbes vénérables, des moricauds agiles tressant en riant des corbeilles. On découvrait çà et là, sur les jambes enflées, des linges souillés, cachant mal les plaies et les ulcères ; et l’on voyait, l’on entendait ondoyer et bruire la vermine. Parfois passaient des rires. Une poule noire piquait du bec le sol fangeux. Le soldat me laissait observer les prisonniers tout à loisir, épiant mon départ pour tendre la main. Alors, je songeai au directeur de notre belle prison départementale. Et je me dis : « Si M. Ossian Colot venait à Tanger, il la reconnaîtrait et il la flétrirait, la promiscuité, l’odieuse promiscuité. »

— Au tableau que vous faites, répliqua M. Bergeret, je reconnais la barbarie. Elle est moins cruelle que la civilisation. Les prisonniers musulmans ne souffrent que de l’indifférence et parfois de la férocité de leurs gardiens. Du moins n’ont-ils rien à redouter des philanthropes. Leur vie est supportable, puisqu’on ne leur inflige pas le régime cellulaire. Toute prison est douce, comparée à la cellule inventée par nos savants criminalistes.