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augustes qui résultent de la condition humaine ne s’ajouteront plus les maux artificiels qui résultent de notre condition sociale. Les hommes ne seront plus déformés par un travail inique dont ils meurent plutôt qu’ils n’en vivent. L’esclave sortira de l’ergastule, et l’usine ne dévorera plus que les corps par millions.

» Cette délivrance, je l’attends de la machine elle-même. La machine qui a broyé tant d’hommes viendra en aide doucement, généreusement, à la tendre chair humaine. La machine, d’abord cruelle et dure, deviendra bonne, favorable, amie. Comment changera-t-elle d’âme ? Écoute. L’étincelle qui jaillit de la bouteille de Leyde, la petite étoile subtile qui se révéla, dans le siècle dernier, au physicien émerveillé, accomplira ce prodige. L’Inconnue qui s’est laissée vaincre sans se laisser connaître, la force mystérieuse et captive, l’insaisissable saisi par nos mains, la foudre docile, mise en bouteilles et dévidée sur les innombrables fils qui couvrent la terre de leur réseau, l’électricité portera sa force, son aide, partout où il faudra, dans les maisons, dans les chambres, au foyer où le père et la mère et les enfants ne seront plus séparés. Ce n’est point un rêve. La machine farouche, qui broie dans l’usine les chairs et les âmes, deviendra domestique, intime et familière. Mais ce n’est rien, non, ce n’est rien que les poulies, les engrenages, les bielles, les manivelles, les glissières, les volants s’humanisent, si les hommes gardent un cœur de fer.