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genoux que le pantalon, tendu par un trop long usage, rend tristement pareils aux genoux d’un chameau, ses pieds au bout desquels les souliers vont le bec ouvert comme un couple de canards. Séducteur ! Ô dangereux Clopinel ! Clopinel délicieux ! Par toi, mon sou produit un peu de bassesse, un peu de honte. Par toi, j’ai constitué avec un sou une parcelle de mal et de laideur. En te communiquant ce petit signe de la richesse et de la puissance, je t’ai fait capitaliste avec ironie et convié sans honneur au banquet de la société, aux fêtes de la civilisation. Et aussitôt j’ai senti que j’étais un puissant de ce monde au regard de toi, un riche près de toi, doux Clopinel, mendigot exquis, flatteur ! Je me suis réjoui, je me suis enorgueilli, je me suis complu dans mon opulence et ma grandeur. Vis, ô Clopinel ! Pulcher hymnus divitiarum pauper immortalis.

Exécrable pratique de l’aumône ! Pitié barbare de l’élémosyne ! Antique erreur du bourgeois qui donne un sou et qui pense faire le bien, et qui se croit quitte envers tous ses frères, par le plus misérable, le plus gauche, le plus ridicule, le plus sot, le plus pauvre acte de tous ceux qui peuvent être accomplis en vue d’une meilleure répartition des richesses. Cette coutume de faire l’aumône est contraire à la bienfaisance et en horreur à la charité.

— C’est vrai ? demanda Pauline avec bonne volonté.

— L’aumône, poursuivit M. Bergeret, n’est pas plus comparable à la bienfaisance que la