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dans l’estomac ; et quand il l’avait vue faisant mine de le mépriser, la moutarde lui avait monté au nez, et dame !

Le pis, c’est qu’elle n’était pas la seule qui le traitât comme un galeux. Personne ne voulait plus le connaître. De même que Mme Laure, Mme Cointreau la boulangère, Mme Bayard de l’Ange gardien le méprisaient et le repoussaient. Toute la société, quoi !

Alors ! parce qu’on avait été mis pour quinze jours à l’ombre, on n’était plus bon seulement à vendre des poireaux ! Est-ce que c’était juste ? Est-ce qu’il y avait du bon sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu’il avait eu des difficultés avec les flics ? S’il ne pouvait plus vendre ses légumes, il n’avait plus qu’à crever.

Comme le vin maltraité, il tournait à l’aigre. Après avoir eu « des mots » avec Mme Laure, il en avait maintenant avec tout le monde. Pour un rien, il disait leur fait aux chalandes, et sans mettre de gants, je vous prie de le croire. Si elles tâtaient un peu longtemps la marchandise, il les appelait proprement râleuses et purées ; pareillement, chez le troquet, il engueulait les camarades. Son ami, le marchand de marrons, qui ne le reconnaissait plus, déclarait que ce sacré père Crainquebille était un vrai porc-épic. On ne peut le nier : il devenait incongru, mauvais coucheur, mal embouché, fort en gueule. C’est que, trouvant la société imparfaite, il avait moins de facilité qu’un professeur de l’École des sciences morales et politiques à