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lirez : « Vachard, paresseux, fainéant ; qui s’étend paresseusement comme une vache, au lieu de travailler. — Vache, qui se vend à la police ; mouchard. » Mort aux vaches ! se dit dans un certain monde. Mais toute la question est celle-ci : comment Crainquebille l’a-t-il dit ? Et même, l’a-t-il dit ? Permettez-moi, messieurs, d’en douter.

» Je ne soupçonne l’agent Matra d’aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous l’avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. Dans ces conditions il peut avoir été la victime d’une sorte d’hallucination de l’ouïe. Et quand il vient vous dire, messieurs, que le docteur David Matthieu, officier de la Légion d’honneur, médecin en chef de l’hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a crié aussi : « Mort aux vaches ! » nous sommes bien forcés de reconnaître que Matra est en proie à la maladie de l’obsession, et, si le terme n’est pas trop fort, au délire de la persécution.

» Et alors même que Crainquebille aurait crié : « Mort aux vaches ! » il resterait à savoir si ce mot a, dans sa bouche, le caractère d’un délit. Crainquebille est l’enfant naturel d’une marchande ambulante, perdue d’inconduite et de boisson : il est né alcoolique. Vous le voyez ici abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous direz qu’il est irresponsable. »

Me Lemerle s’assit et M. le président Bourriche lut entre ses dents un jugement qui condamnait Jérôme Crainquebille à quinze