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teur des lois ? Est-ce que je me ris des décrets et des ordonnances qui régissent mon état ambulatoire ? À cinq heures du matin, j’étais sur le carreau des Halles. Depuis sept heures je me brûle les mains à mes brancards en criant : Des choux, des carottes, des navets ! J’ai soixante ans sonnés. Je suis las. Et vous me demandez si je lève le drapeau noir de la révolte. Vous vous moquez et votre raillerie est cruelle.

Soit que l’expression de ce regard lui eût échappé, soit qu’il n’y trouvât pas une excuse à la désobéissance, l’agent demanda d’une voix brève et rude si c’était compris.

Or, en ce moment précis, l’embarras des voitures était extrême dans la rue Montmartre. Les fiacres, les baquets, les tapissières, les omnibus, les camions, pressés les uns contre les autres, semblaient indissolublement joints et assemblés. Et sur leur immobilité frémissante s’élevaient des jurons et des cris. Les cochers de fiacre échangeaient, de loin, et lentement, avec les garçons bouchers, des injures héroïques, et les conducteurs d’omnibus, considérant Crainquebille comme la cause de l’embarras, l’appelaient « sale poireau ».

Cependant, sur le trottoir, des curieux se pressaient, attentifs à la querelle. Et l’agent, se voyant observé, ne songea plus qu’à faire montre de son autorité.

— C’est bon, dit-il.

Et il tira de sa poche un calepin crasseux et un crayon très court.