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time et conforme à la nature des choses. Tout disposé à y obéir, il pressa la bourgeoise de prendre ce qui était à sa convenance.

— Faut encore que je choisisse la marchandise, répondit aigrement la cordonnière.

Et elle tâta de nouveau toutes les bottes de poireaux, puis elle garda celle qui lui parut la plus belle et elle la tint contre son sein comme les saintes, dans les tableaux d’église, pressent sur leur poitrine la palme triomphale.

— Je vas vous donner quatorze sous. C’est bien assez. Et encore il faut que j’aille les chercher dans la boutique, parce que je ne les ai pas sur moi.

Et, tenant ses poireaux embrassés, elle rentra dans la cordonnerie où une cliente, portant un enfant, l’avait précédée.

À ce moment l’agent 64 dit pour la deuxième fois à Crainquebille :

— Circulez !

— J’attends mon argent, répondit Crainquebille.

— Je ne vous dis pas d’attendre votre argent ; je vous dis de circuler, répondit l’agent avec fermeté.

Cependant la cordonnière, dans sa boutique, essayait des souliers bleus à un enfant de dix-huit mois dont la mère était pressée. Et les têtes vertes des poireaux reposaient sur le comptoir.

Depuis un demi-siècle qu’il poussait sa voiture dans les rues, Crainquebille avait appris à obéir aux représentants de l’autorité. Mais il se trouvait cette fois dans une situation particu-