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CRAINQUEBILLE[1]


Jérôme Crainquebille, marchand des quatre-saisons, allait par la ville, poussant sa petite voiture et criant : Des choux, des carottes, des navets ! Et, quand il avait des poireaux, il criait : Bottes d’asperges ! parce que les poireaux sont les asperges du pauvre. Or, le 20 octobre, à l’heure de midi, comme il descendait la rue Montmartre, Mme Bayard, la cordonnière, À l’Ange gardien, sortit de sa boutique et s’approcha de la voiture légumière. Soulevant dédaigneusement une botte de poireaux :

— Ils ne sont guère beaux, vos poireaux. Combien la botte ?

— Quinze sous, la bourgeoise. Y a pas meilleur.

— Quinze sous, trois mauvais poireaux ?

Et elle rejeta la botte dans la charrette, avec un geste de dégoût.

C’est alors que l’agent 64 survint et dit à Crainquebille :

— Circulez.

Crainquebille, depuis cinquante ans, circulait du matin au soir. Un tel ordre lui sembla légi-

  1. Nous publions ici les chapitre II, III, V, VI, VII et VIII, de l’édition originale et complète publiée par E. Pelletan, 125, boulevard Saint-Germain.