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C’est dans cet intervalle de temps que j’avais le plus à souffrir. Seul alors avec le municipal de garde, j’étais contraint d’entendre tout ce que cet homme se plaisait à proférer d’horreurs contre le Roi. L’imputation habituelle roulait sur ce que Sa Majesté haïssait le peuple et l’avait trahi : « Cela n’est-il pas vrai ? me disait-on. À coup sûr tu penses comme nous. Si non, tu ne peux être que le complice de cet ennemi de la nation. » À ces propos j’opposais un air glacial et le plus morne silence. « Tu ne réponds rien, donc tu n’es pas patriote. » Je restais muet, étant résigné à tout événement.

Ce n’était qu’au moment où je levais et couchais le Roi qu’il hasardait de me dire quelques mots. Assis et couvert par ses rideaux, ce qu’il me disait n’était point entendu par le commissaire. Un jour que Sa Majesté avait eu les oreilles frappées des injures dont le municipal de garde m’avait accablé : « Vous avez eu beaucoup à souffrir aujourd’hui, me dit le Roi. Eh bien ! pour l’amour de moi, continuez de supporter tout : ne répliquez rien. » J’exécutai facilement cet ordre. Plus le poids du malheur s’appesantissait sur mon maître, plus sa personne me devenait sacrée.